Conducing Stravinsky
La musique. A cette époque, ce n’est pas que je l’écoute : j’y plonge, chair et tête entiers. De la musique classique essentiellement. Dvorak m’a initié, j’ai de multiples amours toutes également entretenues, mais à ce moment-là, c’est Stravinsky qui me transporte et surtout : le Sacre du printemps. Je dois être en sixième, je crois, et certains mercredis après-midis solitaires, je mets le disque, j’écoute debout les paupières serrées sur mon délire, j’écoute à fond, le son pareil, à fond, moi stylo en main pour battre la mesure dans une parodie grotesque de chef et voilà le passage de la danse du sacrifice, je conduis un orchestre invisible, je balance mes poings, dressé comme un fou dans des mouvements frénétiques, Zi-Zam Boum ! Ce que c’est bon, cette musique, cette violence, cette puissance ! Enfin, l’orchestre s’apaise, le sacrifice est consommé, j’ouvre les yeux. Stupeur. La belle tapisserie blanche de la salle à manger est constellée –mais vraiment constellée- d’éclaboussures bleues. Je considère ce putain de stylo encre qui a perdu son capuchon dans un de mes mouvements enthousiastes et sa plume qui dégoutte encore un fond de cartouche. Tout le reste du contenu est passé dans des drippings magistraux, entrecroisés selon une variété étonnante de directions et de longueurs. A son retour du travail, je raconte à ma mère ce qui s’est passé et pourquoi je suis juché sur une chaise avec un stylo correcteur à la main. Elle acquiesce avec fatalité ; tout cela est dans la norme des lubies de son fils étrange.
Commentaires
Excellent! Stravinsky, De Funès et Pierre Richard réunis!