J'ai découvert au hasard de mes lectures* cette lettre de Saint-Exupéry, adressée à Pierre Chevrier et datée du 30 juillet 1944
"J'ai failli quatre fois y rester. Cela m'est vertigineusement indifférent.
L'usine à haine, à irrespect qu'ils appellent le redressement, moi je m'en fous. Je les emmerde. Je suis sous le danger de guerre le plus nu, le plus dépouillé qui soit possible. Absolument pur. Des chasseurs m'ont surpris l'autre jour. J'ai échappé juste. J'ai trouvé ça tout à fait bienfaisant. Non pas le délire sportif ou guerrier, que je n'éprouve pas. Mais parce que je ne comprends rien, absolument rien que la qualité de la substance. Leurs phrases m'emmerdent. Leur pompiérisme m'emmerde. Leur polémique m'emmerde et je ne comprends rien à leur vertu. La vertu, c'est de sauver le patrimoine spirituel français en demeurant conservateur de la bibliothèque de Carpentras. C'est de se promener nu en avion. C'est d'apprendre à lire aux enfants. C'est d'accepter d'être tué en simple charpentier. Ils sont le pays... pas moi. Je suis du pays. Pauvre pays !"
Le lendemain, Antoine de Saint-Exupéry disparaissait.
*(Antoine de Saint-Exupéry, oeuvres complètes. Bibliothèque de la Pléïade. Tome II, page 979)
Commentaires
C'est excellent et ça réhausse un peu l'estime que je porte à l'écrivain, dont j'ai le malheur de détester "le petit prince", ce qui ne se dit pas en société, ai-je payé pour voir...
D'autant qu'il a rayé de la carte de Lyon le rue Alphonse Fochier, ce qui ne s'invente pas. C'est à Bellecour, à l'angle de la place, et c'est là que j'ai envoyé le plus de lettres d'amour, ce qui est important, dans une vie! Mais là, reconnaissons-le, il n'y était pas pour grand chose.
Dans les dîners, il vaut mieux déclarer sa zoophilie que ne pas aimer "le petit Prince", je te l'accorde. Pour saint-Ex, je l'ai abordé en dilettante, par petites touches, et je dois dire que "Vol de nuit" et "citadelles" m'ont profondément ému. Lire la correspondance finit d'emporter l'adhésion : Saint-Ex était un sacré bonhomme et un grand auteur.