Un précieux ami me citait récemment la réponse de Philipp Roth à cette remarque d'un interviewer : « Vous êtes très pessimiste sur l'avenir des livres et de la littérature... »
Roth : « Je suis pessimiste et je suis sûr d'avoir raison. C'est en premier lieu une question de temps. De combien de temps libre les gens disposent-ils quand ils rentrent chez eux? Deux heures, trois heures? et là ils sont en face de la dictature de l'écran. L'écran de la télévision, l'écran de l'ordinateur, l'écran de l'Ipad... ces écrans sont plus important que les livres. Même les livres numériques, je ne suis pas sûr qu'il en restera dans dix ans... Ils ont perdu la faculté de se concentrer sur un livre. Les gens qui lisent vont devenir une secte très réduite... »
A l'analyse, on pourrait tout de même répliquer que le temps de travail s'est réduit à travers les siècles (même si une droite conservatrice veut, pour la première fois dans l'histoire humaine, inverser le mouvement), et que jamais jusque là, les hommes n'avaient bénéficié d'autant de temps pour lire. Cependant, il faut admettre la concurrence, sur cette période heureusement libérée, de toutes les autres formes d'expression, souvent plus faciles et souples (à commencer par la littérature elle-même : textes plus rapides, efficaces, vocabulaire et intrigues simplifiées), qui menacent l'exigence de concentration nécessaire pour s'adonner à la lecture de textes difficiles et ambitieux.
Je suis aussi pessimiste que l'auteur du complot contre l'Amérique et je proposais sur Kronix il y a quelques mois, d'interroger la notion du roman comme support pertinent pour dire notre société. L'écrit lui-même sera-t-il un vecteur adapté à la connaissance de ce monde fluctuant, nébuleux, virtuel ? J'ai conscience d'être un dinosaure et ne cherche pas à changer ma nature. J'espère seulement quelques années de répit pour la forme d'expression que je privilégie aujourd'hui. Mais après tout, je ne sais pas si le livre, numérique ou papier, est la forme définitive par laquelle je saurais le mieux décrire mon univers. Le spectacle vivant, la vidéo, la BD, la peinture, la musique et la danse ne sont pas des inconnus pour moi, je suis au contact permanent de ces formes. Le livre se meurt ? Nous inventerons d'autres langages, nous passerons par d'autres procédés, nous trouverons d'autres financements. La seule chose qui pourrait m'arrêter (qui m'arrête déjà, parfois), c'est le sentiment de n'avoir rien à dire. La littérature n'est pas si essentielle. Elle peut disparaître, comme le reste. Mon pessimisme est semblable à celui de Roth : je parie qu'on peut s'en accommoder.
Commentaires
La littérature n'est pas essentielle?
Elle l'est absolument, car rien ne la remplace. Il faut ne pas vraiment aimer écrire pour écrire cela.
Vous souhaitez avant tout vous exprimer, en vérité. Vous ne souhaitez pas écrire. Il y a dans cette envie d'expression toute seule et toute nue et qui est prête à endosser tous les médias qui lui tomberont sous la main quelque chose d'infiniment peu joyeux ; quelque chose de chiche, de pauvre et qui rend un son désespérant.
Qu'on m'arrête si je me trompe mais...
On ne lit un livre exigeant que comme on regarde une émission exigeante ou qu'on va voir un film exigeant. C'est un travail similaire à celui qui s'impose au visiteur de musée exigeant qui discute avec lui même de la sculpture exigeante qu'un artiste exigeant a pondu dans un soucis d'exigence envers sa propre exigence.
L'exigence, chacun en a à son goût. On en a là où d'autres n'en ont pas. Finalement le livre s'est vulgarisé quand on se souvient qu'à une époque il fallait être très très (très) fortuné pour en acheter un. Un livre à 2 euros, au fond, je ne sais pas ce qu'on peut espérer en tirer. On a fait des livres pour ceux qui ne se soucie guère de ce qu'il y a écrit dessus comme on fait des films qui permettent de dormir 2h avec des potes dans une pièce climatisée avec des pop corn plein les doigts.
Mais rien n'empêche de trouver de la richesse partout ailleurs, pas que dans les livres. Il suffit d'être exigeant. Je suis exigeant vis à vis des jeux que j'écris et que je joue. J'ai de l'exigence pour les émissions que je m'autorise à voir (et à revoir, du coup, merci internet et la vod). J'ai de l'exigence vis à vis des films que je vois. Je suis surtout exigeant avec la bouffe que je mange (la cuisine sera-t-elle un jour enfin titrée d'Art qu'on puisse finalement en parler sérieusement deux secondes ?)
Par contre mais qu'est-ce que je m'en fiche des livres ! Oula ! Je n'ai rien contre les livres, mais eux ils ont un problème avec moi, alors bon...
Mais même si la littérature disparaissait, ça ne ferait pas de moi le symbole d'une civilisation se coupant un bras tout entier ; un bras pourtant fort, noble et efficace, à l'épreuve du temps. Que dirait-t-on si on se séparait de la peinture alors ? Et qu'imaginer d'un monde sans cinéma ? Sans jeu (pas d'échec, pas de go, pas de cartes, pas de baby foot) ?
Et puis est-ce seulement possible ? Au-delà de la nostalgie du papier, qu'on peut comprendre, comme on console ceux qui inlassablement s'accrochent de tous leurs nerfs aux derniers vinyles de l'industrie musicale, est-ce seulement possible de voir la littérature disparaître ? La cassette audio, format pourtant si nul, a-t-elle détruit la musique ? Le MP3 l'achèvera-t-il ?
Ben non. Concrètement... pourquoi la musique disparaîtrait-elle ? Pourquoi la littérature, qui existe sous d'autres formes que le livre, bien avant l'ordinateur, et qui existait même avant l'imprimerie, devrait-elle subitement disparaître avec le livre (si tant est que lui aussi disparaisse un jour) ?
Je veux bien comprendre que vous vous accrochiez de tous vos nerfs aux derniers bouquins de l'industrie du livre (et on vous consolera). L'odeur du papier, la texture, la jolie typo serif, les kilomètres de signes, le son des pages qui tournent... m'enfin quand même, vous n'exagéreriez pas un poil là, un peu, tout de même ?
Et avec ça je vous met de la fin du monde aussi ? :)
Quant au pari sur l'humanité, c'est un peu facile. C'est quand même le premier atout de l'Homme que de pouvoir s'accommoder de TOUT. De tout, oui, même de l'espace intersidéral, pourtant strictement à l'opposé de ce qui fait d'un endroit qu'il est vivable.
Je suis d'accord avec ton billet, et suis aussi entièrement d'accord avec CXman.
1) Il faut avoir des choses à dire.
2) Peut importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !
Imaginer que l'homme arrête d'inventer et de penser... c'est dire (déjà) la fin de l'humanité.
Cela peut faire peur à certains... Moi, je me contente de penser que nous ne sommes pas essentiel à l'univers.
Alors, le "livre" ...