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La carte qui raconte et le territoire qui veut parler

La carte et le territoire
de Michel Houellebecq


Ce soir, à l'espace Noirot de Villerest, rencontre littéraire autour du dernier roman de Michel Houellebecq. L'imminence de cette rencontre, animée par un ami, fin lecteur et habile manipulateur de passerelles sémantiques et de paradoxes, m'a obligé à noter quelques idées sur ce roman et, puisque le sommeil ne vient pas, à les reprendre ici pour les soumettre à votre réflexion.

Je ne prends pas la peine de résumer l'intrigue : vous la connaissez ou bien vous la trouverez sur le net. J'ai lu ce livre dès sa sortie, avant sa consécration annoncée au Goncourt. C'est effectivement plutôt un bon Goncourt, ni plus ni moins mauvais que ses prédécesseurs. C'est un bon livre, riche, fluide, intelligent (mais est-il pour autant pertinent ? Je crois que non et je vais tâcher de dire pourquoi en conclusion de cette petite chronique). Le style ? Houellebecq est dans la post-littérature, il écrit sans amour et sans dandysme littéraire, sans lyrisme. S'il va au bout de sa logique (ne doutons pas qu'il récidivera ses échappées vers le cinéma), il abandonnera cette forme vieille qu'est le roman pour autre chose : une littérature orale, une expression détachée de l'activité scripturaire. Cela n'empêche que « la carte et le territoire » est un bon roman. Pourtant, si les deux premières parties sont excellentes, vraiment, la troisième est d'une telle fadeur, d'une telle innocuité, que je continue de m'interroger. N'y aurait-il pas quelque malignité cachée dans cette apparente vacuité ? On est assez proche de la démarche des photos que fait Jed des objets à ses débuts : la neutralité de leur représentation frise l'étrangeté.

Houellebecq est pour moi -et c'est ce que j'aime en lui (si tant est qu'on puisse « aimer » un tel auteur et ses livres)- un auteur qui aiguillonne, précipite, dérange, agace, annonce. Me voici bien désemparé. La carte et le territoire, présenté comme son ouvrage le plus abouti, le plus accompli, est aussi le plus gentil, le plus policé, le plus inoffensif, le moins subversif. J'allais dire : un roman normal, comme il s'en produit beaucoup. Une critique sur le monde de l'art ? Même pas : c'est bien mal connaître le monde de l'art contemporain pour voir dans le portrait que l'auteur en fait autre chose qu'un simple constat. La démarche du peintre Jed Martin avec ses déclinaisons sont même plutôt intéressantes et bien vues. Une critique de la télé people et autre poncifs ? La charge serait bien légère. Sarcastique, oui, mais sans goût de la destruction. MH, qu'as-tu fait de tes crocs ?

Ce qui reste, au bout du compte, de la lecture ? Deux choses : l'idée géniale d'intégrer un Houellebecq personnage de roman. Idée magnifiquement conduite, donnée avec panache et humour.  Une réussite. Et puis, et puis, justement, l'exploration du thème porté par le titre : la carte, le territoire. La carte plus passionnante, plus chargée de vérité et d'enseignements que le territoire. La carte qui dit plus que le lieu. Il n'est donc pas surprenant de se trouver confronté, à plusieurs moments du livre, aux fameuses notices Wikipédia. C'est qu'elles ont le même projet : définir un lieu, le décrire, le vider de sa substance par le simple effet de survol. En dire assez pour prouver l'existence d'un lieu et par là, créer un champ de possibles. Le lieu décrit, le lieu donné par l'activité descriptive, qu'elle soit cartographique ou scripturaire, a autant de réalité que le vrai. Souvenons-nous que Marco Polo, de retour de Chine, fut pris pour fou et que Jules Verne n'a pas bougé de chez lui pour écrire des récits de voyage auxquels plusieurs générations ont prêté foi. Le récit du lieu vaut le lieu, pour qui n'y est pas allé... et peut-être aussi pour qui s'en détache à force d'isolement. Des tyrans en ont fait récemment l'amère expérience, en découvrant que leur territoire avait une réalité. A ce titre, on peut imaginer que Houellebecq est en retard d'une époque. Il a considéré la virtualité du monde, façon Google earth, comme une donnée majeure du XXIème siècle. Nous assistons peut-être, en ce moment-même, à l'inverse exact. C'est bien ce que je disais : Houellebecq n'annonce plus rien et a perdu ses crocs.

Pour explorer encore le thème de la carte et du territoire, je vous suggère deux lectures :
Pfitz d'Andrew Crumey
La frontière invisible de Fr. Schuiten et Benoît Peeters

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