Hier -ou bien avant-hier, mais vous pardonnerez cette imprécision- tandis que ma compagne volait à mon secours en rapportant au bureau l'agenda oublié à la maison et sans lequel je suis perdu (plus de rendez-vous, plus de notes, plus de multiples détails qui ornent le découpage horizontal des heures, chaque jour), il s'est produit un de ces petits faits qui font notre délectation. Voici : ma chérie regagnait sa voiture garée devant mon travail, sa mission accomplie. Elle s'est penchée un instant pour récupérer je ne sais quel objet rebelle qui s'était dérobé sous un fauteuil, quand son oeil a capté le geste d'une silhouette sur le trottoir d'en face. Je dis bien le geste, pas la silhouette précise : une impression en somme. Et elle a instantanément su que c'était JM*. Relevée tout-à-fait dans la seconde qui a suivi, sa vue dégagée vraiment lui a permis d'en être sûre. JM sortait de chez la coiffeuse en face de mon bureau (un point commun supplémentaire entre nous) et il fit sur le seuil un mouvement qui l'identifia, aussi vite et absolument qu'aurait pu le faire un portrait détaillé. A mes questions enthousiastes (la synthèse d'une identité par la singularité d'un geste, imaginez : de quoi allécher mon goût pour les développements abstraits), ma chérie décrivit une attitude, un pas, peut-être une manière de plier aussi le bras en laissant flotter la main, un mouvement de la tête, mais il ne lui en restait que l'impression fugace qui subsiste des images rêvées. Ainsi sommes-nous -rires distincts, tics verbaux, attitudes caractéristiques, timbres uniques, gestes particuliers- loin du regard, de la présence, fantômes de nous-mêmes, un composé de sensations dont on retiendra tout, après notre départ, et qui restitueront l'essentiel de notre apparence aux amis pensifs.
*(adpaté d'une lettre à un ami, qu'on nommera ici JM)