Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Extrait

Je ne savais pas quoi écrire, alors je colle ici un extrait d'un roman en cours. Il s'intitulera "Pieds nus sur les ronces", et je ne sais pas s'il sera publié un jour (déjà, le finir). En attendant :

Pétrifiée de colère, Syrrha l'était encore, inexplicablement, quand elle raconta l'épisode de l'hôtel à Joël. Il la regardait sans comprendre. Syrrha ne comprenait pas non plus ce qu'elle était en train de faire, de quoi il s'agissait, de se soulager, de créer un effet dramatique, qu'on s'intéresse à son cas, impossible de savoir. Avec la colère revenue tout entière, intacte, dans le récit, il y avait un désespoir manifeste. Pourquoi était-elle comme ça ? Elle poursuivit son récit devant un Joël Klevner embarrassé de telles confidences, mais conciliant, amical, conscient qu'il avait un rôle à jouer, qu'on lui accordait une confiance imprévue et qu'il devait en être digne. Le souffle court, Syrrha décrivit la chambre, elle debout à côté du lit, son incroyable angoisse, surgie soudain, son horrible angoisse qui l'avait arrachée au sommeil et au lit. Syrrha debout, nue, se disant qu'elle allait partir, le laisser là, prendre ses affaires en tâchant de ne pas le réveiller, ne pas lui faire de mal, non, cela elle ne le voulait pas, mais le laisser seul, ici, à Paris, avec ses interrogations, le laisser seul et fuir, ne plus lui donner de nouvelles, ne plus jamais le revoir. Joël tenta de demander ce qui s'était passé, qu'avait fait Simon de tellement grave ? Mais sa phrase resta en suspens sur ses lèvres. Il n'y avait aucune explication, ce devait être anecdotique, sans conséquence, Syrrha l'admettait d'emblée, l'avait dit, le répétait, tentait encore de se souvenir mais impossible, en fait il n'y avait rien, rien de notable, rien, même à l'époque elle le savait, comment pouvait-elle savoir et en même temps entrer dans ce délire ? elle était soudain persuadée, à cause de ce geste (admettons que ce fut un geste) insignifiant que Simon ne l'aimait pas, qu'il allait peut-être lui faire du mal, il était sur le lit, inerte comme l'eau d'un miroir, reflet de la haine soudaine qu'elle ressentait, une palpable colère, renvoyée par ce visage tranquille d'un jeune homme qui dort. Et debout, nue, elle visitait les possibles, s'excitait à la perspective de son départ, se voyait dans la rue, bousculant les prostituées, laissant derrière elle des cris et des insultes, courant vers la gare, disparaissant, quittant Paris et Simon et le pays, évanouie dans l'abstraction d'un paysage repeint en noir. Et debout, nue, bras ballants, mains désœuvrées, yeux écarquillés dans la nuit, tout grondait à ses oreilles, le sang bourdonnait et les halètements dehors, la respiration des voitures et les bouffées de musique échappées des bars, toute la sordidité humaine montait vers la chambre, occupait l'espace et l'air, modifiait la lumière et les ombres sur le visage détesté de son amour. Elle devait partir, il fallait qu'elle foute le camp, Ô désolé mon pauvre amour, comme tu me hais, si tu ne me haïssais pas comme ça, je resterais mais là, mais là c’est trop me demander, rester auprès d'un garçon qui me veut du mal, tu comprends ? Parce que tu ne m'aimes plus, toi, n'est-ce pas ? Tu veux que je parte, tu me rejettes ? Tu ne veux plus de moi ? Mais comme je t'aime, moi, si tu savais, pourquoi tu ne veux plus de moi ? Ça s'enchaînait, infatigablement, ça l'obsédait, ça l'épuisait, elle en tremblait sur ses jambes, une heure à rester comme ça debout, à poil, ça faisait mal, ça faisait froid, elle devait foutre le camp, en silence, pas lui faire de peine. Et puis, Simon a émis un petit grognement, il a bougé, s'est vaguement réveillé, a perçu dans les lueurs contradictoires qui perçaient la fenêtre, la silhouette de Syrrha, debout nue raide de colère qui le regardait avec ses yeux écarquillés, il a immédiatement perçu qu'elle était comme ça depuis longtemps, a froncé les sourcils, a dit d'une voix ensommeillée et gentille « Qu'est-ce que tu fais, tu ne dors pas ? », cela elle s'en souvenait, cela lui est revenu parfaitement, le corps qui bouge, s'étire frissonne, le visage si beau de Simon qui s'ouvre, s'éclaire, son regard brouillé de nuit qui s'étonne : « Qu'est-ce que tu fais... » et dans l'instant, toute la tension qui disparaît, Syrrha qui sort de son hypnose, se détend, sent un poids formidable s'évanouir. C’est fini. Simon est là, il l'aime, tout va bien. Elle sourit, elle rejoint le lit, s'allonge, se blottit contre lui, s'allonge mais s'évanouit presque, s'effondre, épuisée, et s'endort aussitôt.

Les commentaires sont fermés.