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MICA

   Au-delà de la route immuable, la campagne retenait son souffle. Marie quitta sa contemplation pour regarder devant elle. Les fauteuils lui cachaient les nuques de la conductrice et de son mari et elle distinguait juste le haut de leur visage, reflété déformé dans le verre du pare-brise. Ce sera une étrange journée pensa-t-elle. Elle arrêta sa réflexion sur l’idée de la souffrance de son compagnon. Ressentait-elle de la pitié ? Elle s’était habituée au mal, avec lui. La maladie était de ces plaies dont on doit s’accommoder avec la grêle, le gel précoce ou les grandes sécheresses. C’est terrible mais on apprend à supporter l’obstination du malheur. C’est ainsi. Le Dieu de Marie avait la férocité de la nature et, comme elle, souriait au printemps, dévorait son monde avec les mouches de l’été. Et le vieil Henri boitait vers sa mort. Marie s’était habituée à le voir mourir plusieurs fois par jour.
   Le mari que l’élan de la vie lui avait donné ; pas vraiment choisi, présenté comme indéniable, l’Henri. Un parent lointain. Un bon bougre, pas méchant, travailleur, il n’aimait pas trop boire et ne l’ennuyait pas avec des fatigues superflues, les soirs. Dur à la tâche, oui, mais pas si costaud que ça, toujours des petites plaintes, des ennuis aux reins ou aux jambes. Rien de grave, mais une gêne permanente. Elle, ne s’était jamais plaint, son corps la portait encore fidèlement malgré l’âge, juste ses jambes douloureuses à cause de son poids, mais le reste… Alors elle pouvait se permettre de faire attention à son homme, l’aider à mourir au mieux. Même l’aider à croire qu’il pouvait vivre encore. Il y avait un dernier espoir. Un seul, puisque le Bon Dieu se tournait les pouces, assis sur son trône, et puisque la médecine avait baissé les bras. Ensuite… Ils savaient tous les deux qu’un répit est ce qu’il est, rien de plus, juste une pose pour souffler avant de reprendre l’outil. Il n’y avait aucun mystère là-dessous, les hommes se crevaient dans la poussière des champs ou la manducation des machines, précipitaient la course avec le vin et le tabac, et les femmes, assises dès l'alliance au chevet des hommes agonisants, restaient pour faire un tour le dimanche désherber les tombes, discuter avec les autres veuves à la sortie de la messe.

 

Extrait de "MICA", reprise d'un ancien manuscrit et dernier roman que je viens d'achever, ce jour.

Commentaires

  • Plus que jamais, j'ai envie en ce moment de lire des histoires comme MICA, où la vie l'emporte malgré tout. Une version épurée en plus... Ca fait vraiment envie. Bon travail.

  • merci. J'ai resserré le récit autour du thème principal. J'ai encore du travail, d'ailleurs. Je m'y remets aujourd'hui. Bon courage à toi, si ça ne va pas fort.

  • Si si ça va très bien, pardon d'avoir suggéré le contraire. Ouh que si, ça va bien. Mais je ne connais pas assez d'auteurs actuels qui chantent la vie. Et ça manque je trouve dans l'idée de donner un peu de matière à notre optimisme.

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