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Le feuilleton de l'été

Pieds nus sur les ronces - 4

C'est de force qu'ils sont entrés, ont débordé le peu de résistance que le personnel pouvait leur opposer. Combien étaient-ils ? Quels moyens avaient-ils ? Comment un groupe armé de sa seule colère peut-il causer de tels dégâts ? Je n'en reviens pas. Depuis la route, de loin, les effets de l'attaque sont spectaculaires. La célèbre silhouette de Terret est mutilée de la moitié de sa hauteur. Son toit de tuiles vernissées a disparu, les modillons blancs du sommet et la charpente millénaire qui les dressaient au dessus des champs, ont été précipités dans l'incendie. La grande bâtisse a des allures de dent cariée, parois d'ivoire, cœur noir et fétide. Je n'ai pas de mots devant ce désastre. Qu'un serrement de gorge, inaudible à Katrine qui a accepté de me conduire à l'abbaye saccagée. Le monument est entouré de barrières dérisoires mais des vigiles éloignent les curieux, et dans les prés autour des décombres, des hommes en tenue s'affairent, récoltent des débris dans l'herbe ou les broussailles. « On a trouvé le corps d'un des leurs, dans la nuit. Sont tellement excités qu'ils finissent par s’entre-tuer, ces malades », commente Katrine. Elle est toujours élégante, a enfilé de petites bottes de caoutchouc en descendant de voiture. Un homme approche. C'est un type quelconque, long d'ossature et brun, plutôt beau dans sa fatigue. J'ai un faible pour les hommes abandonnés à leur fatigue. Je leur trouve une majesté lasse, une noble désinvolture qui me séduit. Il vient saluer Katrine, qui nous présente. Sef est un enquêteur dépêché par la Mairie pour évaluer les dégâts. Il connaît bien le site, y a conduit des travaux, naguère, « C'est un crève-cœur. Il y avait des fresques, du mobilier sacré, le toit était classé. Ils ont tout démoli. » Son visage est défait, il est sincèrement affecté et évite de nous regarder, revient sans cesse vers les ruines, convaincu au fond que tout cela n’est qu'une illusion née de peurs anciennes mais que tout est là en vérité, sous-jacent, indemne. « Nous n'avons pas assez protégé cet endroit. Il n'y avait eu aucune menace. La police patrouillait de temps en temps. Un artiste invité est mort, vous savez ? » La question s'adresse à moi. Il a plongé son regard dans le mien brusquement, en prononçant vous savez ? Je sais : Katrine m'a parlé de la victime. Un plasticien, un artiste non-européen. Jeune inconnu prometteur, comme sont censés l'être tous les résidents de Terret. D'autres sont à l'hôpital. Le reste – il y avait une demi-douzaine d'invités – est reparti. La violence des agresseurs a démoralisé tout le monde. « Sans l'incendie, vous arriviez à l'abbaye en pleine bataille. » Katrine tente de délivrer son angoisse ; s'ils ont attaqué l'abbaye, pourquoi pas la Mairie ou un quartier de Malbec ? Nos visages se ferment et Sef incline le menton sur sa poitrine. Nous partageons un bref moment de crainte et de recueillement. Je crois que Sef a murmuré une prière.

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