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Le feuilleton de l'été

Pieds nus sur les ronces - 24

 

     L'écriture avançait de façon continue, de façon obsessionnelle surtout, ce qui est pour Syrrha le signe patent qu'un livre est en train de naître. Sur l'unique téléphone de Malvoisie, Syrrha a pu appeler Katrine pour lui annoncer que cette-fois elle y était. Katrine n'a pas compris, vous y êtes... ? J'écris, voyons, j'écris, j'y suis, je suis dans l'écriture. Katrine était contente, pas tant que ça en réalité, moins que Syrrah ne l'aurait cru, moins qu'elle ne se l'était imaginé, que s'était-elle imaginé ? Elle réfléchit après avoir raccroché : Katrine n'était pas impliquée dans les suites éditoriales de la résidence d'écrivain, seulement dans l'organisation de l'accueil, le reste ne l'intéressait pas. Elle demanda tout de même si l'auteure n'avait besoin de rien, si tout allait bien « à part ça ». Syrrha la remercia, elle avait tout ce qui lui fallait, la preuve : l'écriture était revenue. Katrine la félicita, plus chaleureusement enfin, elle était fière que son intuition ait été la bonne. Syrrha la remercia pour cela. Elle mentait sans y prendre garde : fondamentalement, les lieux n'avaient rien à voir avec sa soudaine inspiration. De la même façon sans doute que l'élaboration du plan du château ou le système scrupuleusement mis en place autour de l'abbaye de Terret étaient des leurres. Il s'était agi dans les deux cas de méditer sur les potentialités d'une idée et pas tellement sur le lieu lui-même ou son originalité supposée. Il s'était agi de saisir le prétexte d'une réflexion et de la mener par certains moyens au plus loin, c’est-à-dire au plus proche de la littérature. C'est de cette réflexion concentrée qu'était né le récit, que naissaient tous les récits. Pas de conte ou d'épopée, pas de nouvelle ou de grande saga, aucun mythe, aucune fiction, aucune description du réel même, sans le filtre sophistiqué de la méditation. Pour que Syrrha se sente entraînée dans le cône de la méditation, y précipite ses pensées pour en extraire l'essence, là bas au final, il lui était nécessaire de s'adonner au rite secret du temps de la réflexion, du retour sur soi, et cette phase du travail s'exerçait sans conscience d'elle-même dans le cadre subtil d'un sujet où se projeter. Architecture, mouvement d'un sentiment, rêve visité, opinion sur une cause, accident historique, souvenir d'un autre, il y avait pléthore, et chaque était le prétexte d'une prospective de la fiction. La fiction  – ou pas seulement la fiction : la sublimation du vécu par l'exercice littéraire – naissait de là. Terret avait été l'un de ces objets, Malvoisie avait surgi à son tour dans son apparence dérangeante, les deux furent l'occasion d'une méditation. Rien d'autre. Les sujets étaient les mêmes, les obsessions ne se déformaient qu'à peine sous l'influence de tels objets, pas plus que la lumière en périphérie d'un astre médiocrement massif. Il aurait fallu un trou noir, une attractivité totale, pour que la production de Syrrha change de paradigme. Il aurait fallu qu'elle ne soit pas Syrrha pour que ses récits soient mobilisés par d'autres émotions, d'autres vérités. Elle était Syrrha, avec son bagage de Syrrha, son enfance et ses expériences de Syrrha, et aucune abbaye, aucun château ne déplacerait jamais assez ses intérêts pour inspirer autre chose que les récits en germe, natifs, obsédants et irréductibles enracinés dans l'existence de Syrrha. Elle avait de cela une conscience confuse, laissée en friche quelque part. L'idée ne lui en était pas désagréable, mais l'examiner lui semblait inutile. Elle le pensait sans y penser. De plus, il faut considérer que la méditation chez elle se cristallisait dans l'écriture. C'est dans l'acte d'écrire que se produisait l'alchimie, la concentration nécessaire au prolongement des idées. Écrire lui permettait d'approfondir la réflexion qui mène à la littérature. Syrrha n'était pas la première à s'apercevoir que ce qu'elle écrivait était parfois plus pertinent que ce que son intelligence, sans cet exercice, lui aurait permis. La bénédiction de la pensée longue, de la phrase qu'on soumet au travail sans hâte, le travail qui anoblit la rusticité du premier jet.

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