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Ces réflexions qui cherchaient un chemin vers le jour avaient momentanément altéré le sourire de Martin, l'avaient métamorphosé en ce rictus que Marianne n'aimait pas observer. Elle glissa la paume de sa main sur son visage : « Martin, mon Martin, dis-moi si tu es en colère. Dis-moi. » Il n'était pas en colère. Était-il en colère ? Il dit : « Je ne suis pas en colère » tout en interrogeant le sens de ce mot, et il fut effrayé – mais vraiment : il connut un instant de panique – de trouver un abîme devant ses réflexions. Ce mot avait perdu sons sens et – ce qui augmenta sa frayeur d'une façon irrationnelle – d'autres à sa suite semblaient se précipiter dans le gouffre ouvert de sa pensée, s'y précipiter avec une espèce de joie dans la perdition. Il répéta Je ne suis pas en colère avec une voix d'enfant, un grincement apeuré détaché de lui, si étrange que Marianne en eut un frisson : « Martin ? dit-elle, inquiète, dis-moi ce qui ne va pas. » Martin planta ses yeux dans les siens, prononça avec naturel : « Ça va, je vais bien. On va manger, non ? » tandis qu'une autre voix, brusque, accidentée, pleine de caillots et de glaires, de cris et de tourbe et de racines déchirées et de ciel tombé, d'odeur de poudre et de stupeur, hurlait en lui : « Si tu savais, Marianne, si tu savais... »

 

La Grande Sauvage. Extrait. Roman en cours d'écriture.

Commentaires

  • Superbe. Juste un doute sur "une espèce de joie", formule convenue voire orale qui tranche avec la qualité du reste. Moins musicale, moins fluide. Avis personnel bien sûr. Magnifique accumulation sur la fin.

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