Le texte a été écrit à Nohant, en 1872, daté du 6 novembre et publié dans le journal Le Temps. Trois ans avant sa mort, George Sand est en colère. Elle est un des seuls (sinon le seul) esprits de son temps, à comprendre les enjeux de l'environnement. Une visionnaire, surtout dans le dernier paragraphe :
"…Tout est abattis, nivellement, redressement, clôture, alignement, obstacle; si, dans ces cultures tirées au cordeau qui ont la prétention de s'appeler campagne, vous voyez de temps en temps un massif de beaux arbres, soyez certain qu'il est entouré de hauts murs…Les forêts qui subsistent sont à l'état de coupes réglées et n'ont point de beauté durables. les besoins deviennent de plus en plus pressants (…)
Irons-nous chercher tous nos bois de travail en Amérique ? Mais la forêt vierge va vite aussi et s'épuisera à son tour. Si on n'y prend garde, l'arbre disparaîtra et la fin de la planète viendra par dessèchement sans cataclysme nécessaire, par la faute de l'homme.
On replantera, on replante beaucoup, je le sais, mais on s'y est pris si tard que le mal est peut-être irréparable… Il faudra voir si l'équilibre peut se rétablir entre les exigences de la consommation et les forces productives du sol. Il y a une question qu'on n'a pas assez étudiée et qui reste très mystérieuse : c'est que la nature se lasse quand on la détourne de son travail. Elle a ses habitudes qu'elle quitte sans retour quand on la dérange trop longtemps. Elle donne alors à ses forces un autre emploi; elle voulait bien produire de grands végétaux, elle y était portée, elle leur donnait la sève avec largesse. Condamnée à se transformer sous d'autres influences, la terre transforme ses moyens d'action. Défrichée et engraissée, elle fleurit et fructifie à la surface, mais la grand puissance qu'elle avait pour les grandes créations elle ne l'a plus et il n'est pas sûr qu'elle la retrouve quand on la lui redemandera. Le domaine de l'homme devient trop étroit pour ses agglomérations. il faut qu'il l'étende, il faut que des populations émigrent et cherchent le désert. Tout va encore par ce moyen, la planète est encore assez vaste et assez riche pour le nombre de ses habitants; mais il y a grand péril en la demeure, c'est que les appétits de l'homme sont devenus des besoins impérieux que rien n'enchaîne, et que si ces besoins ne s'imposent pas, dans un temps donné, une certaine limite, il n'y aura plus de proportion entre la demande de l'homme et la production de la planète. (…)
nous tous, protestons aussi, au nom de notre propre droit et forts de notre propre valeur, contre des mesures d'abrutissement et d'insanité. Pendant que de toutes parts, on bâtit des églises fort laides, ne souffrons pas que les grandes cathédrales de la nature dont nos ancêtres eurent le sentiment profond en élevant leurs temples, soient arrachées à la vénération de nos descendants. Quand la terre sera dévastée et mutilée, nos productions et nos idées seront à l'avenant des choses pauvres et laides qui frapperont nos yeux à toute heure. Les idées rétrécies réagissent sur les sentiments qui s'appauvrissent et se faussent. L'homme a besoin de l'Eden pour horizon. Je sais bien que beaucoup disent : " Après nous la fin du monde ! ". C'est le plus hideux et le plus funeste blasphème que l'homme puisse proférer. C'est la formule de sa démission d'homme, car c'est la rupture du lien qui unit les générations et qui les rend solidaires les unes des autres."