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Tous promeneurs, avec la mort agriffée aux épaules. Au début, tant qu'on a de la force vive, on ne la sent pas ; elle est plus fine et légère qu'un voile de mariée. On n'y pense même pas. Et puis, avec le temps et les méchancetés qui s'accumulent, elle grossit, elle s'épaissit. Elle est là, enflée, lourde, ses dents plantées dans la gorge, sa langue mouillée de peur qui vous lèche la nuque. Alors, on commence à fléchir sous ce poids. On est cassé en deux, nez en avant sur son ombre. On fatigue ; elle grandit encore. Elle attend son heure. Des fois, les meurtriers prennent les devants. Et ça fait de la mort orpheline, qui cherche une autre vie. D'autres épaules à quoi se greffer. Reprendre l'attente, se remplumer, se refaire, éternellement. C'est de là que ça vient, la dureté de nos existences. J'ai fini par comprendre ça. Je la devinais sur nos épaules. (...) Les autres passaient sans rien comprendre, mais moi, je voyais ; les gestes des petits sont déjà embarrassés de cette présence, je le sais. Ils l'ignorent, mais je l'ai vue, la mort, posée comme un châle sur les épaules des enfants, déjà affairée à se nourrir de tout le mal qui nous entoure. Je la voyais lentement nous broyer. Et ça rend mauvais, ça. Parce qu'on ne sait pas, on ne comprend pas ce qui gêne ainsi nos moindres gestes ; on ne s'habitue jamais à porter ce fardeau. Et la colère et la rage qui nous font trembler de la tête aux pieds, c'est notre manière de secouer l'engeance de la mort pour s'en débarrasser. Nos vies sont faites de ces constantes ruades. Inutiles.

 

Le sort dans la bouteille. Théâtre, 2017. Extrait.

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