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La manne souterraine n'était pas forcément hors de portée. La houille affleurait dans le meilleur des cas, et la proximité de couches superficielles explique, ici comme ailleurs, qu'on put dès le XIIIe siècle, d'abord, piocher le charbon disponible à deux doigts des labours. La houille manifesta parfois sa présence, pour l’œil aguerri de l'ouvrier, au fond de sa propre cave ; comment résister, quand on a la compétence, le matériel et la force ? Impossible de laisser passer cette provende. L'homme retroussait encore les manches, en omettant d'aller à la messe, ce qui ne lui posait guère de cas de conscience, croit-on savoir. Une « gratte » bienvenue pour des travailleurs décidément infatigables. On dit que certaines faiblesses du sol, sous quelques maisons et rues stéphanoises, sont la conséquence de ces galeries clandestines, indénombrables, creusées trop près de la surface qu'elles ont fragilisée. Je veux bien croire que certaines maisons de la rue Aristide Briand, près de la gare du Clapier, furent ébranlées par le travail de sape de leurs propres habitants (j'ai entendu ce verdict : « ils l'ont bien cherché »), mais les façades étonnantes de la rue Ledin (située, quelle coïncidence, en limite d'une réserve dont nous verrons plus tard la logique) cette rue donc, avec ces fenêtres droites encloses dans des cadres obliques, ses commerces de naguère, disent des témoins, enfoncés trois marches sous le niveau du trottoir, la gare de Chateaucreux, construite sur des centaines de vérins en prévision des mouvements souterrains qu'ils devraient compenser, les silos de la médiathèque de Tarentaize, à peine achevée, ont dû être renforcés car les mouvements du sol menaçaient, la rue Beaunier dans le quartier du Soleil, modifiée par un affaissement et, dans le même quartier, à cause de plus de 20 puits creusés sur ce petit territoire, l'église Sainte-Barbe enfoncée de plusieurs mètres en un demi-siècle, des maisons bardées de fer, des ruptures de canalisations d'eau et de gaz dans les années soixante, et les tombes du cimetière du Soleil, avec ces granites qui s'affrontent, ses épitaphes qui valsent le long des allées, où l'on voit Pierre Ferraton (1901-1977) s'élever pour épauler Catherine Javelle (1887-1938), Jeanne-Marie Jacquemont (1845-1919) prise d'un sursaut indigné, se mettre en retrait de ses voisins, Joseph Jouffe avec toute sa descendance, basculer sur sa droite, Eugène Portal (1856-1907) avouer son penchant pour son contemporain et voisin de cimetière Alexandre (quant à la famille Coste dont la dernière représentante, Maria, a rejoint ses parents en 1984, sa modeste tombe a carrément pris le mal de mer. Il n'y a bien que les sépultures d'enfants que la farandole épargne, les petits fantômes pesant trop légèrement sur la terre, je suppose), tous ces bouleversements anciens, et de plus actuels que les conversations anodines révèlent : des toupies de béton l'une après l'autre versées en vain pour tenter de combler un trou apparut dans un terrain, des terrassiers confrontés à un fond de garage ouvert sur un gouffre, sont, plus sûrement qu'aux petits ouvrages dominicaux des ouvriers, dus à l'activité industrielle de l'ère moderne, celle que les derniers mineurs ont connue, qui est née au siècle de leurs grand-pères. Il en résulte ces quelques deux-mille ouvrages souterrains qui totaliseraient, si on les additionnait, une surface de cinquante-trois kilomètres carrés de chantiers. Voracité que tenta de contenir une décision municipale, la réserve que j'évoquais plus haut, imaginée à l'époque où Saint-Etienne accédait enfin au statut tant désiré de préfecture, contre sa concurrente éternelle Montbrison. Il fallait, conformément au prestige d'une telle promotion, permettre la construction d'immeubles luxueux, l'érection de façades orgueilleuses, bourgeoises. On créa un périmètre où les entreprises se retiendraient d'intervenir. Surface en forme d'amende comprise entre Tarentaize et Carnot, qui a ce nom étrange : l'investison, terme désignant précisément, selon le Larousse, un « volume de terrain qui doit rester stable pour ne provoquer aucun dégât sur des installations de surface du fait d'excavations minières souterraines ». On ne saurait être plus spécifique.

 

Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

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