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Quelle odeur avait la combustion du charbon ? J'ai connu cela, mais c'est trop lointain, les images revenues ne font naître aucune remémoration de fumet. Enfants, chacun notre tour, nous étions désignés pour remonter les boulets noir mat, leur poids minéral confiné dans un grand seau de zinc — ou était-ce un broc de tôle émaillée ? Nous alimentions le petit poêle de l'atelier de mon grand-père. On allumait, on tisonnait les poignées rougeoyantes, de la lave en fusion maîtrisée par notre petit pouvoir. Quelle odeur ? Le minéral, le feu, la rocaille remuée qui crache ses braises, la fonte qui résonne, la fraîcheur de l'atelier qui lâche prise doucement… C'est loin mais pas assez sans doute pour que, à l'inverse, s'il advenait qu'on en brûle en ma présence, toutes les images ne surgissent pas instantanément en ma mémoire. Une telle occasion ne m'a pas été donnée. Je me souviens par contre de l'odeur à froid, dans la fraîcheur terreuse de la cave, des boulets de poussière, le schlamm moulé en balles de fronde des Baléares. Sous cette forme, le charbon était versé en éboulis par le soupirail d'où tombait les bruits et la faible clarté de la rue. Je sais que dans les mines, l'odeur de poudre de la houille percutée se mêlait à celle des défécations des hommes, des rats de belle taille (et par conséquent, pour protéger leurs sachons de demi-fourme, des chats, des gros, capables d'en découdre avec leurs puissantes proies) et des chevaux. Ceux-là, dont des générations se succédèrent au fond jusqu'en 1953, qui ne connurent le jour que pendant les sept semaines de grève de 1948 ou pendant les congés de 36 (enfin, à la bonne heure !) et pour les plus anciens, ne le virent une dernière fois que quand il était temps pour eux de mourir. Ceux-là, les ardennais ou les bretons, choisis parce que râblés et forts, qui avaient leur papier et sur le papier leur nom, dont certains devinrent légendaires. Là, on se souvient des Zadig, Illico ou Grognard, et ici d'un Lusitania, qui tirait autant de berlines qu'on lui en accrochait au train, et ne cala jamais. Cette promiscuité, ce peu d'hygiène entraînait des contaminations de maladies et de parasites, dont le fameux ankylostome, un ver venu en clandestin dans les tripes des verriers italiens vers 1830, une saloperie capable d'abattre les plus courageux. Un siècle mis à découvrir ce mal mystérieux, à diagnostiquer de simples anémies, avant qu'on ne désigne le parasite comme responsable et qu'on prenne des mesures d'hygiène.

Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

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