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Je me souviens de cette femme, croisée un jour, à Paris. Je n'avais pas trente ans, elle approchait la cinquantaine. Je marchais sur un boulevard et je la vis de loin parmi les badauds, me découvrant, modifier son trajet et accélérer ses pas pour venir face à moi, que je ne puisse la manquer.

Manifestement, elle avait cru reconnaître le visage d'un autre. Quand elle a pu mieux détailler mes traits, à quelques mètres, j'ai vu son expression basculer, en une fraction de seconde, de la joie d'enfin retrouver quelqu'un de précieux, à l'abattement de la déception que ce ne fût pas lui.
Malgré le temps écoulé depuis, l'image de cet instant est arrêtée, nette, dans mon souvenir. Elle était plutôt belle, la face large, le regard clair, sans maquillage, les cheveux vénitiens et longs, elle était vêtue d'une robe bleue d'été (c'était donc l'été ?). Qui était-il, celui qui avait fait bondir son cœur, l'avait précipitée devant moi dans un élan où semblait converger le tragique de toute une vie ? Je vois encore son geste, la main gauche s'élevant, qui aurait bientôt pu caresser ma joue « toi, enfin » ; je lis encore sur son visage tous les bonheurs promis. Et la terrible désillusion. Et sa bouche muette ouverte sur une blessure irrémédiable. Le regard qui se dérobe, s'est humilié devant moi et veut disparaître. L'autre qui occupait ses pensées, qu'elle avait cru enfin retrouver après tant de temps au hasard d'une promenade, ne viendrait plus. Je la dépassai, le cœur battant, troublé, malheureux pour elle. L'âme à jamais lestée de son désespoir, et l'adoptant.

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