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  • L'avenir du livre

    Changement de cap : j'ai décidé de poster cet article plus tôt que prévu. Restons dans l'actualité.

    Le mercredi 28 novembre, à la médiathèque de Roanne, devant une petite assemblée qui ne comptait ni libraire (sauf ma copine), ni imprimeur, ni éditeur, ni directeur de journal, ni graphiste, ni aucun professionnel des métiers du livre, le prospectiviste Lorenzo Soccavo a donné les clés de la révolution qui nous attend : celle du livre électronique.

    Lorenzo Soccavo ne l'a pas dit l'autre soir, en conclusion de sa conférence, mais on l'a tous pensé très fort : « ne nous racontons pas d'histoire, le livre-papier, c'est fini ». Retardé d'année en année pour cause de coût et des multiples résistances des industries traditionnelles en place, le livre électronique arrivera tôt ou tard, et remplacera, à quelques exceptions près, le livre-papier. Que cette révolution prenne trois ou dix ans, autant dire que nous y sommes. Il existera toujours de beaux livres imprimés, comme il y a toujours des disques produits en vinyle, mais l'ère de la chaîne graphique est bel et bien en passe de s'achever. On peut crier, se lamenter, renâcler, trouver toutes les bonnes et belles raisons qui font qu'un livre est un objet sans équivalent, n'empêche, la prochaine génération n'en verra probablement plus que dans les réserves protégées de musées et de médiathèques, et chez quelques particuliers amateurs. Le ton que j'emploie pourrait vous laisser croire que je me réjouis, mais tel n'est pas le cas : j'ai été graphiste, illustrateur, j'écris, je lis, j'ai travaillé dans le milieu de l'imprimerie, j'achète quand je peux des éditions anciennes. J'aime le livre, je suis sensible à sa beauté, à son toucher, à tout ce qui en fait un objet de culture différent et unique. Mais je refuse de me voiler la face. Le livre-papier, à 95 %, est condamné. Il en fut ainsi quand le papyrus remplaça la tablette d'argile, quand l'écrit passa de la forme rouleau à la forme codex, quand l'imprimé chassa le manuscrit, il en a toujours été ainsi. La seule inconnue, c'est la vitesse de la révolution. Mieux on y sera préparé, mieux cela vaudra.

    D'abord, quelle est cette révolution ? Pas seulement la transmission de l'écrit via l'ordinateur, mais un support nouveau : le papier électronique, sur quoi le texte n'est pas un scintillement de pixels, mais bel et bien une encre, l'encre électronique. C'est le premier point. La page que vous lirez s'affiche sans rétro-éclairage, elle est blanche, le texte est d'un beau noir stable. S'il n'y avait pas la vitre de protection, on pourrait croire à un papier glacé, d'épaisseur normale (le premier artiste sur papier électronique a exposé il y a peu à Paris : sans vitre de protection, les dessins ressemblent à des lavis d'encre de chine sur papier). La feuille de papier électronique est d'ailleurs, dans l'appareil, ce qui coûte le plus cher, le reste est d'une technologie équivalente à une bonne calculatrice. Le coût d'un reader oscille de 300 à 600 euros. On peut charger, par un port USB ou grâce à une connexion wifi, l'équivalent de plusieurs centaines de livres (du format d'un livre de poche, un reader pèse 150 grammes environ). Encore en noir et blanc, l'encre électronique en couleurs existe à l'état de prototype, mais c'est évidemment une question de mois avant sa mise sur le marché.

    Les premiers média en lice sont les journaux, qui ont déjà entrepris le virage informatique. Avec un abonnement, vous aurez la dernière édition sur l'appareil, enrichie de toutes les possibilités de liens, hypertextes, vidéo, sons, qu'offre l'hybridation technologique papier électronique/web. Les guides touristiques suivront logiquement (Le GPS reconnaît votre position, vous signale immédiatement, à la page que vous ouvrez, le restaurant du coin, l'expo à voir, vous enseigne sur l'historique du monument devant lequel vous vous trouvez, etc.), ainsi que tous les dictionnaires, pavés genre « code civil », plus pratiques sous cette forme évidemment, etc. Idem pour toute la littérature "documentaire" : thèses, mémoires, synthèses de colloques, essais, etc. quel est l'intérêt de les imprimer sur papier ?

    Les publicitaires avertis, je suppose, de la révolution en cours, doivent se frotter les mains : les affiches dans les sucettes D... pourront se mettre à jour toutes seules, changer en cours de journée. Les affichages de prix dans les magasins se modifieront automatiquement.

    Le cartable électronique va enfin trouver son véritable médium. Les éditeurs scolaires sont, j'espère, au fait des dernières technologies. Ils seront parmi les premiers touchés.

    La littérature. Ah. La littérature. Que va-t-elle devenir ? Que vont faire les éditeurs ? Comment livrer au téléchargement sans se faire pirater, les ouvrages sortis ? La question se pose déjà via le net, et concerne surtout les best-sellers, comme pour la musique. Mais le e-book va accélérer le phénomène. Dans un premier temps, les libraires vendront des livres électroniques avec -pourquoi pas ?- un catalogue de classiques déjà disponibles. Mais ensuite, comment éviter que la spécificité de ce matériel, mi-informatique, mi-culturel, échappe aux rayons informatiques des grandes surfaces ? Quid du prix unique pratiqué en France, quid des taxes différentes, relativement au support et au contenu ? Quelle protection est-elle envisageable pour les métiers du livre, dans un contexte européen ? Mondial ? (en Chine, les librairies électroniques sont déjà nombreuses).

    Le livre électronique conforte la distinction entre le médium et le discours. Pour moi, un livre est autant un objet qu'un texte. Un texte passionnant sur le net, n'a pas le poids du même sur papier, sans jouer sur les mots. Oui, il y a des cas où le contenant donne une force au contenu. Le journal de Renaud Camus, pavé annuel très attendu, aurait-il la même aura en édition électronique ?

    En tant qu'écrivain inéditable (je pouffe), je sais que je peux vendre en ligne une version pdf de mon travail. En vendre peut-être davantage qu'en version papier, mais je sais que mes romans ne se liront pas de la même façon, imprimés sur un beau papier ou sortis d'une imprimante laser. J'ai longtemps considéré que l'essentiel était de dire, peu importe le moyen. Mais l'expression gagne une force par la technique la plus propre à la magnifier.

    Mais mes réticences sont celles d'une génération qui a grandi avec le livre, avec le romantisme du livre, et même, osons le dire, sous l'ombre tutélaire du Livre. La génération suivante s'accomodera sans sourciller d'une manipulation légère, pratique, et de l'absence de rayons de bibliothèque à la maison.

    Tout de même, un angle sous lequel on peut se réjouir : l'éco-bilan du papier électronique, tout plastique qu'il soit, est nettement en sa faveur. L'industrie du papier, la chimie des encres, sans parler de l'abattage des arbres (aspect ressassé mais pourtant négligeable : 4% du papier utilisé l'est pour imprimer des livres. Le reste, c'est de l'emballage), sont un désastre pour l'environnement.

    Quant au coût humain, social et industriel, certains secteurs vont souffrir dans la décennie qui vient. Un cataclysme ? C'est possible. En tout cas, une industrie sinistrée comme le fut celle des mines ou la sidérurgie. Que faire, à part se préparer ? Ce qui est inquiétant, c'est qu'on a entendu aucun politique se formuler à ce sujet. La politique de l'autruche ?

    A voir, cette étonnante vidéo. Imaginer les 50 années à venir. Curieusement, je trouve les perspectives évoquées assez timides : elles ne tiennent pas compte des deux prochaines révolutions : l'ordinateur quantique et les nanotechnologies.