Elle s’appelle disons, Sandra. Elle n’a pas 20 ans. Elle revient voir, en starlette, l’équipe des permanents de ce foyer pour personnes sans abris où je fais un peu de bénévolat.
Sandra a été pensionnaire dans le foyer pendant plusieurs mois, il y a quelque temps. Depuis, la structure qui s’occupe d’elle l’a lancée sur une énième piste de formation professionnelle. Elle loge dans un autre foyer, mais pour jeunes travailleurs, celui-là. Dans l’équipe de l’association personne ne se fait d’illusion : comme les autres formations, celle-ci (coiffeuse, cuisinière ou je ne sais quoi), va motiver la gamine pendant 3 semaines et puis basta. Sandra, comme d’hab’, va se lasser (se lever le matin, être propre, travailler, obéir…), va s’enticher d’un garçon, et se barrer avec. Pour mieux revenir dans le giron du foyer, cabossée et paumée. Chaque fois la même histoire.
Sandra entre donc dans le foyer, fait la bise à tous les permanents, les éducateurs, les bénévoles… Elle se pense très sexy. Mais sa jeune beauté est déjà vulgaire, ses gestes sont sans grâce et son regard voudrait être hautain. En faisant la bise à un de ses éducateurs préférés, elle lui glisse un mot à l’oreille. Mais j’ai entendu. « Je suis enceinte ». L’éducateur fait : « Tu plaisantes ? » Et il me raconte, tandis que Sandra minaude au milieu des autres. « C’est la troisième fois cette année. J’arrive pas à suivre. » Je crois que mes sourcils forment un arc élevé au dessus de mes paupières. Il poursuit : « Elle se maque avec les plus cons, les grandes gueules, les violents. Elle couche, sans protection bien sûr, se fait tabasser… Et recommence. C’est à désespérer. » Sandra revient vers nous, balance une vanne et s’éloigne. L’éducateur lui lance : « Et inutile de tortiller des fesses, ça sert à rien. » Elle se retourne vers nous, je capte son regard au passage. Elle m’adresse un écoeurant sourire de séduction. J’ai la nausée. 20 ans. Je pense à ma propre fille. Ma petite à moi, elle est préservée, elle ne connaîtra jamais cette merde. Jamais. Impossible.
Commentaires
Et vous avez bien raison. Et, plus important encore, n'oubliez pas de lui apprendre que, même si les gens lui diront, quand elle aura 20 ans elle aussi, qu'elle ne connaît rien de la vie, elle doit répondre que si, elle en connaît, des choses. Les belles choses de la vie, ça s'appelle. Et non ça n'est pas un mal de ne pas "connaître" la misère, le malheur et tout et tout. Parce qu'après tout, est-ce que tout ce qu'on demande chaque jour, ça n'est pas "la paix dans le monde et le bonheur pour chacun" ? Mais ça n'est pas une raison pour ne pas faire comme son papa et s'occuper charitablement de ceux qui souffrent, justement parce qu'elle a (?) tout pour être heureuse, alors qu'elle doit en faire bénéficier les autres.