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La ballade de Narayama

 de Shoei Imamura – 1983.

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Difficile de parler de ce film terrible. Dans le Japon du XVIIè, un village isolé au fond de la montagne survit. La vieille Orin est honteuse d’elle-même : à 69 ans, dans ce monde impitoyable, elle devrait être morte. Mais elle est en pleine santé, elle a toutes ses dents, et elle est une bouche à nourrir. Elle exige de son fils d’appliquer la tradition : l’emmener sur la montagne sacrée et l’abandonner là aux corbeaux. C’est la loi, elle entend bien que son fils ne se dérobera pas, contrairement à son mari, incapable de sacrifier sa propre mère de cette façon, et préférant fuir le village à jamais.

Le premier personnage du film, c’est la nature. Elle est omniprésente, violente, dévorante, sans pitié pour les faibles. Elle dépasse les conceptions humaines, supporte avec indifférence l’existence des villageois, mais ne leur accorde rien. Toute nourriture doit lui être arrachée. Et les paysans crèvent de faim, l’hiver est une hantise permanente. On survit dans la peur du manque, il n’est pas rare de découvrir un cadavre de bébé au bord de la rivière, on enterre vivantes les familles de voleurs de nourriture, on sacrifie les vieux inutiles. A ce niveau de misère, que sont les valeurs morales ? On copule avec les bêtes quand le besoin est trop fort, on fait le deuil de sa petite amie le lendemain de sa mort atroce, on tue son père désobéissant. La vieille Orin casse ses dents sur une pierre pour ne pas paraître trop jeune, avançant ainsi sa propre mort. Pendant ce temps, les animaux meurent, se dévorent et s’accouplent, avec autant de conscience.

Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ? La morale ? Ici, elle est inversée : il est juste de tuer les bouches inutiles. La faim est l’unique nécessité sociale. La morale s’est adaptée aux besoins barbares de la survie. Dans cette sauvagerie, cette débauche révulsive et désespérante, engluée dans une photographie anti-esthétique, le sacrifice consenti d’Orin, enfin, élève la condition humaine au-dessus du sordide. Le seul geste de tendresse est cette main du fils posée sur sa joue, furtivement. La seule belle image du film est celle de la vieille femme, assise parmi les corbeaux, au milieu d’un paysage couvert de neige. Un linceul immaculé, une rédemption pour les âmes humaines, affamées d’une tendresse que la vie leur refuse.

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