Il y a des concepts qui ressortissent de notre histoire personnelle de façon tellement intime qu'ils restent à jamais intransmissibles. Je me suis ainsi résigné à ne pas savoir faire partager aux autres le deuil que je porte de la disparition des néandertaliens. C'est ainsi, il a bien fallu que je m'y fasse, mais je ne peux que regretter l'indifférence de mes interlocuteurs lorsque, mobilisé par une émotion réelle, j'essaie d'expliquer la tristesse dont nous devrions tous être submergés en pensant à la disparition de l'homme de Néandertal.
Et, au fait, moi, pourquoi m'émeus-je de cela ? C'est que, il y a 28 000 ans (l'an dernier, j'aurais écrit 50 000, mais de nouvelles découvertes... Bref), disparaissait la seule AUTRE espèce humaine. Comprenez-vous ce vertige ? Une AUTRE ESPECE HUMAINE... Avec une pensée, une culture, un langage, des rites, une compréhension autre, dont nous sommes aujourd'hui -j'en suis certain- en manque. Ils nous manquent, nos frères néandertaliens, nous en sommes orphelins sans espoir de chance nouvelle. Il fut un temps où sur le globe, deux espèces humaines se côtoyaient. Cela seul me donne le vertige.
Ils seraient encore là, nos frères néandertaliens, quelles fautes nous auraient-ils empêché de commettre, quelles idées nous auraient-ils aidé à réaliser, quel souci de l'autre nous obligeraient-ils à avoir ?
Bien sûr, vous n'avez pas tenu en main une pointe levallois ou un racloir moustérien, alors vous ne pouvez peut-être pas comprendre le frisson qui parcourt l'échine de qui touche du doigt la trace manifeste d'une autre intelligence. Ce que devrait ressentir le premier homme qui saisira l'objet abandonné par quelque extraterrestre, je suppose.