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Première marche - 4

Jean-Patrick et Michèle ont ouvert depuis peu une librairie-galerie, dans un village du livre, à mi-chemin de nos deux résidences. La librairie s'appelle Garalde, du nom d'une typographie élégante et noble. Quand j'y pénètre, il flotte une odeur de peinture fraîche et les couvertures des premiers livres arrivés là se réchauffent sous la paume du soleil, entrée par les fenêtres étroites.

C'est une réunion de travail. Nous allons relire le manuscrit, chasser les fautes ou coquilles éventuelles. Haddock, qui n'est pas un labrador mais un Golden Retriever (ortographe incertaine), me présente fièrement l'os artificiel que ses maîtres lui ont récemment acheté, et ne me lâche plus après la première caresse vers les oreilles. Un petit café, on s'installe autour d'une grande table de travail. Michèle va lire, Jean-Patrick est sur l'ordinateur, avec lequel il vérifiera les points problématiques, les singularités grammaticales. Michèle prend une grande respiration et attaque. Je comprends pourquoi le rôle de lecteur lui est dévolu : elle lit à une vitesse vertigineuse, relève néanmoins le moindre incident, la moindre coquille (il y en a très peu, tout de même : je suis assez sourcilleux sur mes manuscrits), parfois, dans le souffle d'une phrase elle glisse : "C'est très beau, ça", et poursuit sans rompre le  rythme. Au bout de deux heures, nous avons parcouru un quart du livre. Il n'y a eu qu'une seule pose, très courte, histoire de reposer la voix, grâce à une moitié de biscuit, l'autre étant accordée à Haddock, qui n'a pourtant rien foutu.

Samedi, c'est-à-dire hier matin, nous nous sommes retrouvés dans les mêmes conditions pour achever cette lecture critique. Tout cela est fait avec le plus grand sérieux, méticuleusement. Rien n'est critiqué sur le fond : ils ont choisi ce texte, l'aiment tel qu'il est, ne discutent aucun point sous cet angle. La lecture finie, je les salue, toujours un peu embarrassé de ne pas savoir leur dire le cadeau qu'ils me font. Je retrouve la route que la brume du petit matin a abandonné à présent, balayée par un soleil robuste et rieur. Je pense à demain, je pense à mon travail, je pense à ma douce, à mes enfants, à la beauté tellement fragile du monde. La route glisse, silencieuse, je conduis doucement. Il ne m'est jamais paru aussi urgent de rester en vie, un ou deux mois de plus.

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