Un thème dans lequel je me suis plongé avec enthousiasme, pour admettre au bout de quelques pages, que cela ferait tout juste une bonne nouvelle. L'histoire d'un écrivain mourant qui s'associe à une firme informatique, créatrice du premier logiciel quantique et donc, du premier ordinateur "créatif". L'écrivain se sachant condamné, passe un accord avec l'entreprise pour que Hugo 01 (le nom de l'ordinateur), auquel il a confié intégré tout son savoir, ses souvenirs et l'ensemble de son oeuvre, poursuive son travail et publie ses projets à titre posthume. C'était une façon d'aborder le mystère de l'écriture, et tant de thèmes tournant autour de ce sujet. Celui-ci, j'y reviendrai. Je n'ai pas peur de le livrer ici, parce que cent auteurs écriraient cent romans différents à partir de ce sujet. Le phrasé est celui du "baiser..."
On a fini par s'habituer, Hugo-01 a mis tout le monde K.O., toute la production littéraire du monde entier, balayée par la puissance de calcul d'un super ordinateur, ajoutée à la qualité d'écriture et l'ambition des sujets de Lamberto Erco, prix Nobel de littérature. Chaque année, des milliers de pages, une production foisonnante, sur tous les sujets et dans tous les genres, de la comédie à l'essai, du roman à la nouvelle et du scénario de films au livret d'opéra, d'un auteur jamais fatigué, jamais en panne d'inspiration, écrivant à jet continu des monuments de la littérature, traduisant simultanément ses propres ouvrages dans toutes les langues, tous les auteurs ont essayé de lutter et puis l'un après l'autre ils ont déclaré forfait, on pouvait bien regimber sous cet étouffement, tout bien considéré, il suffisait de lire la production de Hugo-01 pour être convaincu que personne ne faisait mieux et ça donnait la rage partout, les auteurs les plus jeunes, explosifs, vindicatifs, y allaient de diatribes en vers libres en configurations nouvelles en formes inédites, tout de suite, dans les minutes qui suivaient leur édition ou leur mise en ligne, Hugo faisait mieux, plus ample, plus riche, plus beau et pour s'amuser (en plus, Hugo a de l'humour) l'ordinateur devançait toutes les formes littéraires, provoquait des avancées incroyables dans les genres, en inventait de nouveaux et même se payait le luxe d'écrire des essais critiques sur sa propre production, des critiques d'une hauteur de vue stupéfiantes, de quoi abattre aussi les universitaires, sans parler de son premier essai philosophique qui a fait l'effet d'une bombe, vous vous en souvenez, quand Hugo a rassemblé et synthétisé les considérants athées chers à Erco et a proposé le cardinalisme, une sorte de physique de la pensée qui a réussi à faire taire momentanément Miguel Onfray, bref personne n'arrivait à suivre, c'était une compétition absurde, on a fini par laisser faire, par abandonner, ce n'est pas noble, c'est affligeant, mais à part quelques auteurs dont les fans assuraient qu'Hugo ne les vaudrait jamais — ce que le logiciel a immédiatement contredit en produisant de faux polars, de faux livres de SF, de faux livres érotiques de faux recueils de poésie desdits auteurs, absolument bluffants — les autres ont simplement arrêté d'écrire. Certains se sont suicidés, artistiquement s'entend, en allant cultiver du safran ou des salades, quant à papa, il a juste laissé tomber, pour devenir lecteur de Hugo-01, comme il l'était de Erco, son modèle. Il écrit bien encore un peu, mais plus aucun éditeur ne veut de ce qu'il appelle « mes petites logorrhées », maintenant qu'Hugo-01 est là.