Soudain, la femme du Président suspend son geste. Le couple s’est rendu au Palais après le petit-déjeuner pris chez eux. Ils sont venus ici, lui pour recevoir ses ministres, elle pour recevoir son emploi du temps de la journée. Le détail lui est lu par une copine embauchée comme secrétaire de la gestion de l’overbooking. Son premier rendez-vous sera la visite d’un orphelinat volontaire. « Qu’est-ce que c’est que ce truc : un orphelinat volontaire ? » interroge la first lady. Ludmilla lui répond que c’est un établissement qui recueille les parricides. La Présidente esquisse un geste pour dire qu’en réalité, elle s’en fiche pas mal, pourvu qu’il y ait des crânes de petits malheureux à flatter, quand un effluve puissant arrête son mouvement. Par la fenêtre ouverte, une violente odeur de litière vient de l’assaillir. « Ah oui, pense-t-elle en s’approchant, c’est ce fameux taureau princier… » Elle se penche un peu à la fenêtre et découvre sous elle la grande bête fauve, dont les cornes aux reflets d’ébène encadrent un mufle brillant de colère. Le taureau tend son regard vers la croisée, plante ses pupilles noires dans les siennes et la spectatrice en a le souffle coupé. « Il est magnifique, hein ? », glisse son mari, arrivé derrière elle. Elle veut dire « oui », se tourne vers lui et, muette d’écœurement, constate dans les yeux du Président un éclat de désir infâme qui ne lui est pas adressé mais s’arrime à l’extérieur, aux reins de la bête.