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Bel endroit pour une rencontre

J'aurais pu, toute honte bue, me contenter de vous renvoyer au billet d'hier qui liait celui de Laurent Cachard sur son blog (excellent, où tout est dit et notamment que mes livres « parlent principalement d’écriture, et réécrivent la vie telle qu’elle devrait être », pertinence d'analyse qui me touche, en plein cœur), mais tout de même, j'aurais quelque remords. Je veux au moins rendre hommage ici à l'équipe de la bibliothèque de Fleury-la-Montagne. Bibliothèque toute neuve, animée par des bénévoles actives depuis longtemps (on n'arrache pas la construction d'une bibliothèque dans un village de 700 habitants en agitant seulement l'oriflamme de la culture, il faut se battre sur le long terme, prouver que « ça a un intérêt »). Enfin, j'étais en bonne compagnie et vraiment très heureux de l'invitation.
Habituellement, il s'agit pour un écrivain de parler de son dernier livre. J'estimais hier que, Mausolées étant du mois d'octobre et le prochain étant pour septembre, nous nous trouvions dans une zone de calme éditorial qui me permettait de tenter une expérience. Évoquer le parcours d'un auteur publié sur le tard, à la production encore réduite. Et puis, si les deux heures dévolues n'étaient pas écoulées, tendre la main au dessus des piles de livres apportés (de Proust à Brussolo en passant par Degoutte ou Michon) et, au hasard, dire les livres que j'aime, les raisons qui font qu'un auteur me parle. La deuxième partie a été tronquée : elle réclame une séance à elle seule. Le temps que je le réalise, je n'avais empoigné que les ouvrages les plus populaires (dont le Tarzan de Rice Burroughs, qui a permis à Laurent de faire une photo amusante). Car je dois à la littérature populaire, j'ai une dette envers elle et je voulais la saluer. Ce sont les bandes-dessinées et les récits de W.E. Jones qui m'ont donné à comprendre que les mots avaient une puissance d'évocation, qu'avec une phrase, il était possible de transporter le lecteur, de lui faire sentir et ressentir des choses. Plus tard, il m'est apparu que la narration seule m'ennuyait, mais la notion de récit a été un viatique pour la forme littéraire que j'affectionne aujourd'hui (celle des Chevillard, Meltz, Michon, Gracq ou Volodine) où, à même niveau d'exigence que ce qui est dit, se manifeste la façon de le dire.
Bien sûr, comme nous ne sommes pas loin de Roanne, un certain nombre des lectrices présentes étaient venues pour évoquer leur ressenti à la lecture de « J'habitais Roanne ». Ce qui m'a valu des marques de reconnaissance, des extraits choisis très bien lus et fort à propos, puis des échanges encore, au moment des signatures. Quand on écrit, quand on est dans le mouvement de l'écriture, on est seulement acharné à produire le meilleur livre possible. Dès sa sortie, on est en présence d'un nouveau phénomène, plus ou moins évincé pendant la période de travail : ce qu'on écrit a des conséquences. Personnellement, je n'y songe jamais assez, je crois. Je ne considère jamais l'impact et les effets d'un texte. Heureusement, jusque là, les effets sont plutôt positifs (« merci de m'avoir fait redécouvrir la Loire »), mais enfin, c'est une dimension que je n'ai pas intégrée encore. Et peut-être est-ce aussi bien, d'ailleurs. Je ne sais pas. On voit dans cette inconséquence que je suis encore un jeune écrivain, finalement.
Il fut question du vocabulaire. De la difficulté de lire mes livres à cause de la richesse de leur langue. Pour qui est-ce que j'écris, alors, puisqu'il semble que je multiplie les filtres ? Une élite ? Je m'en voudrais. Je m'en veux, tiens oui, au fait : j'aimerais que tout le monde ait l'attitude que j'ai en tant que lecteur, la gourmandise du mot nouveau. Et puis, comme j'aime la justesse, la précision du mot (un sens, un mot), j'écris à sa place celui qui doit être là et qui exclut, par sa pertinence, tous les autres. Il fallait ce mot. Il est difficile, vous ne le connaissez pas ? Et bien, je  l'offre à votre avidité. Il faut savoir qu'il m'est arrivé de me voir refuser un manuscrit avec cet argument : « trop de vocabulaire ». Je suis conscient que ce peut être une limitation, mais je ne suis pas prêt à y renoncer. Il fut question aussi des sonorités (question illustrée par une lectrice intervenant très à propos, avec un extrait du début de Mausolées). J'écris aussi pour qu'un texte s'écoute. L'influence de mes premières lectures, là aussi, peut-être. En tout cas, des auteurs que j'aime. J'avais prévu d'évoquer Hugo et « La Légende des siècles » (on est vraiment dans les plaisirs coupables), mais je n'ai pas eu le temps ou plutôt pas eu le réflexe d'en parler à ce moment-là. C'est au contact du vieil Hugo et de ses poèmes monumentaux taillés à grands coups d'Alexandrins, que j'ai appris le goût de la scansion, du rythme. Il m'a fallu des années pour me débarrasser de la césure de l'hémistiche. Il me reste aujourd'hui une attention particulière à la musicalité d'un texte, dans ce que j'écris aussi bien que chez les autres. Il fut aussi question de ce que j'appelle, dans notre bibliothèque, les textes fondateurs. Bible, Coran, Kalevala, Véda, L'Iliade, et surtout Gilgamesh, puisque ce premier texte de l'humanité m'a inspiré une nouvelle qui fera bientôt mon actualité éditoriale.
Nous sommes tous, auteurs ou non, débiteurs, voleurs, héritiers d'une galaxie de passants anodins ou essentiels. Il est vain de vouloir honnêtement rendre hommage à chacun, mais il me semblait que même un court aperçu valait pour tous les autres. Il y aura cependant un hommage particulier, il se fera, dans les mêmes lieux, à celui qui vint me voir tenter l'exercice. Cette fois-ci, mathématiquement, je suis en position pour produire un compte-rendu avant qu'il ne le fasse. Mais je n'ose rien promettre

Commentaires

  • d'ordinaire en effet un auteur parle du dernier livre publié, mais ce n'était manifestement pas une rencontre ordinaire. J'ai bien aimé vous voir arriver avec votre Douce et des sacs pleins de livres, aimé écouter le récit de votre itinéraire, et apprendre comment vous avez osé vous considérer comme un écrivain. Merci maintenant pour le beau compte-rendu de ce moment heureux. Je le transmettrai...

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