J'ai toujours aimé l'ennui, sa mélancolie, l'apaisement qu'il procure quand on sait le goûter. Une amie à qui je confiais ce goût et cette aptitude pour le vide et le temps arrêté, arrondit son regard bleu, figé dans l'incompréhension. Elle a horreur de l'ennui, c'est pour elle une sorte d'abandon insupportable de soi, j'imagine. Beaucoup de personnes, pareillement, sont hantées par le surgissement de l'ennui comme par la fréquentation d'une maladie repoussante, ou plus sûrement sont épouvantées par l'intrusion de cette parente de la mort. Pas moi. J'observe la capacité des chats à s'arrondir autour de leur indifférence. Enfant, je savourais la présence des animaux, les vaches dans l'étable, debout face à l'auge, regard abruti collé au mur, les moutons étendus dans le pré, l'œil abîmé dans la contemplation de la plaine, les chiens – une chienne particulièrement – assise contre moi, sérieuse, immobile, aussi peu intriguée par le mouvement des arbres et le murmure de l'eau que moi par l'acharnement des adultes, là-bas, à se croire essentiels. J'ai appris des bêtes la volupté du temps qui ne veut rien, la langueur admirable du vide. Tant de gens se lancent dans une occupation à cause de la terreur qu'inspire l'ennui ! Et plongent alors dans une activité souvent véritablement ennuyeuse, mais qui donne l'illusion de produire, d'avancer quelque chose, une tâche qui ne souffrirait pas d'attendre demain. Tandis qu'il est si bon de suspendre sa vie, de la laisser traîner comme une ombre, au jeu flânant des méditations. Finalement, je me demande si dans mes récits je ne cherche pas à décrire constamment l'état secret dans lequel me plongent l'ennui, l'absence, l'engourdissement.
Extrait de "J'habitais Roanne", Thoba's éditions, 2012.
Commentaires
Moi,mon vrai bonheur, c'est d'ennuyer les autres.