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Pars, travaille !

Le récit de Maryse Vuillermet paru à « La Rumeur Libre » est dans la lignée des œuvres des auteurs qui l'ont précédée dans cette impeccable maison, je pense à Patrick Laupin notamment. La force des textes choisis par Andrea et Dominique Iacovella réside dans leur sincère tentative de faire entendre la voix de ceux que la littérature ignore ou fait semblant de réanimer, le temps d'une fiction (le genre de choses qui m'arrive, soyons honnêtes).
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Pars ! travaille ! Est le titre évocateur de ce livre singulier. Pars d'ici, de ce pays de peu, va gagner ta croûte, progresse, élève-toi. Ici, il n'y a plus rien. L'auteur a bien cru entendre ça, comme ses ancêtres italiens, dont elle retrace par bribes le destin au cours d'une enquête émouvante. Mais l'injonction est tacite, enfin on la reçoit, on croit la comprendre, on se dit que c'est l'évidence. On ne va pas rester dans ce patelin sinistre à polir des pipes ou enfiler de fausses fleurs sur des branches en plastique, à traîner dans les bars ou dans les rues que les commerces désertent.
On part depuis toujours, quand la terre est pingre. Ainsi, les arrière-grands oncles, deux frères, Italiens, partis pour l'Australie, qui se séparèrent là-bas. Un seul reviendra. Aller sur les traces de celui qui n'est pas revenu, c’est interroger toujours l'existence, la question des choix, du destin sur lequel on ne revient pas. Partir ? S'exiler ? La richesse, l'aisance (on ne parle pas de bonheur, loin s'en faut !) serait au fond d'une mine d'opale ? Pas sûr. En Australie, terre d'immigration, ceux qui étaient déjà là, avant, sont les exilés de leur propre terre. Ils dépriment et meurent sur place, leurs rêves sont vendus aux touristes. Quant à ceux qui sont venus chercher fortune, ils retourneront à leur terre. Les vivants ne les ont peut-être pas toujours attendus, eux. Si Maryse Vuillermet s'autorise ce qui ressemble à des digressions (l'Australie, les considérations sur le couple et les enfants, l'Algérie, la carrière professionnelle) ce sont autant de façons d'aborder la même problématique : Pour quoi part-on et pour qui ?
Partir, oui, mais est-ce que l'auteur a eu raison de partir ? Après de brillantes études, elle enseigne, elle donne à ses élèves des clés pour s'exprimer, pour exister. Se plaindre si nécessaire. C'est important de se plaindre. L'insatisfaction est le moteur de la machine qui vous déracine. Pour le meilleur et pour le pire. Le prix à payer, celui auquel on ne s'attend pas, c'est le déphasage du retour. Celle qui est partie a changé, elle n'est plus du même monde, sa langue a pris une souplesse, une tenue que n'ont pas les autres, ceux qui sont restés. Et l'exilée, partie travailler parce qu'elle était persuadée qu'il le fallait, que doit-elle faire de cette langue qui est le stigmate de sa différence, irréductible désormais ? Témoigner? Mais ce monde qu'elle a quitté, le comprend-elle encore ? Le père lui reproche ces récits sombres, pessimistes, lui ne se voit pas comme ça. Contrairement à Enée, dont une représentation illustre la couverture du livre, Maryse Vuillermet n'a pas emporté Anchise, son père, pas plus que sa mère, pas plus que son territoire d'enfance. C'est une illusion, ce bagage, on n'emporte avec soi que le peu de compréhension qu'on a des autres. En ce sens, mais est-ce conscient, le livre de Maryse Vuillermet est le constat tragique d'une impossibilité. On ne peut donc jamais être d'ici, et obtenir l'outil qui vous permettra de dire le vrai ? C'est le paradoxe superbe de cette langue qu'on va chercher ailleurs, pour tendre un miroir à l'existence de ceux qui n'ont pas entendu la double injonction, et qui n'y parvient qu'à condition de trahir.

 

Pars ! travaille ! Maryse Vuillermet. Editions La Rumeur Libre; 155 pages. 20 euros.

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