Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le feuilleton de l'été

Pieds nus sur les ronces - 34

 

     Syrrha a conservé le rituel mis en place aux premiers jours des premières pages. Après le petit déjeuner, jogging, douche, puis écriture jusqu'à midi dans sa chambre, puis déjeuner suivi d'une promenade ou d'un temps de lecture avant de reprendre le travail, dans la bibliothèque cette fois. La présence d'Alexandre fait sur elle l'effet d'une figure solennelle et bonne qui la met en confiance, l'instruit parfois par des bribes de savoir jetées au débotté. Joël les rejoint ponctuellement, de plus en plus souvent croit-elle. Il leur arrive de discuter, de s'offrir une pose. Pose brève mais devenue rituelle. Alexandre énonce l'avancée de ses travaux, progrès millimétrique, Joël consent à parler de son roman et de son proche achèvement, où il sera question de Malvoisie sans doute, Syrrha partage ses impressions sur le dernier chapitre du sien, inspiré lui aussi par Malvoisie, par ses promenades nocturnes, par le jardin de Lucien. Une distorsion entre intérieur et extérieur. Chacun sait bien qu'il ne fera pas lire le résultat, que l'écriture, celle-ci en tout cas, ne sera pas partagée, qu'on en restera aux confidences sur la mécanique du récit, sur le travail. C'est très satisfaisant. On cesse de parler, on se remet au travail, enrichi par les réactions des autres. Le temps clos entre les rayons de la bibliothèque referme ses ailes, démembre les assemblages des autres pendules, émousse les rouages des appareils à mesurer trop sûrement sa fuite. Syrrha comprend pourquoi la pendule Empire est constamment corrigée par Arbane. Le temps ne s'écoule pas ici. De la même manière que les secondes virent aux siècles sous le vernis du miroir, quand Syrrha implore son reflet et l'insulte et lui crache son nom son nom mille fois répété Syrrha Syrrha Syrrha encore Syrrha, et que tout se désagrège. Elle n'a plus peur, elle surmonte l'effroi de sentir sa vie s'extraire d'elle pour investir l'image de sa face inerte et la voir vivre à sa place et le reflet la considérer avec le même étonnement que s'il découvrait qu'il vit, s'affolait de se sentir vivre, respirait contre son gré entre le verre et la surface du tain. Le Golem pareillement a dû sentir cet effroi de la première inspiration, de l'air et de la pensée irriguant sa carcasse de glaise. Le Golem et le reflet de Syrrha par delà les âges se sont dit qu'ils n'avaient pas le droit, que vivre en imitant la vie était un blasphème.

Les commentaires sont fermés.