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Quelques Roses sauvages
Alexandre Bergamini
chez arléa.


arton987.jpgL'auteur doit sentir encore la présence de son ami défunt quand il marche dans Berlin, sur les dalles façonnées par les prisonniers des camps nazis, il a probablement encore en tête le suicide de son frère quand il entre dans le Musée du mémorial et se trouve face à une photographie étrange : deux jeunes rescapés des camps descendent un boulevard et fixent l'objectif en souriant. La légende précise la date : été 1945 ; l'origine du premier : juif hollandais ; le camp où il était prisonnier : Sachsenhausen, et les noms des deux amis dont il imagine aussitôt qu'ils sont homosexuels (étant homosexuel lui-même, sa vision est possiblement orientée). Oui, l'auteur est dans le deuil quand il amorce l'enquête que lui inspire le cliché. Aussi, le vide, la perte, le trou noir de la mort, soutiennent tout le récit d'Alexandre Bergamini, et expliquent peut-être qu'il était essentiel pour lui de l'écrire.
A la fois échappée, bataille, enquête, rencontres (avec l'administration allemande, pas toujours amène, avec de jeunes couples allemands, avec un des hommes de la photo, par téléphone, qui ne dit rien, meurt quelques jours plus tard, et avec une vieille dame accablée par une faute qu'elle n'a pas commise), essai criblé de chiffres, d'anecdotes, de citations et de témoignages pour comprendre, comprendre, comprendre... Quelques roses sauvages mêle sans s'emmêler, les réflexions nées des rencontres, des confrontations avec les lieux, avec la mauvaise conscience d'une civilisation qui s'est condamnée là. On réalise que l'univers des camps de la mort, la logique qui les a fait naître, est en nous, désormais, que cette logique est parente de celle qui règle nos vies, le tourisme de masse, l'élevage de masse, l'industrie et l'asservissement des masses, la chosification des corps, la marchandisation de tout et de l'art. Ces thèmes universels s'ajoutent à la démarche intime de l'auteur. On notera d'ailleurs que l'un des hommes de la photo, sur les traces duquel il est lancé, est nommé par ses initiales : A. B., qui sont aussi les initiales de l'auteur, Alexandre Bergamini. Dès lors, questionnement personnel et recherche sur l'extermination dans les camps de la mort, sont inextricables. On côtoie dans sa démarche, le fils d'un père qui refuse toute responsabilité dans la mort de son autre fils, les enfants de bourreaux qui portent le poids de la culpabilité des pères, tout s'imbrique au fil des pages, sans que rien n'accouche d'une morale ou que la pédagogie de l'Histoire et des chiffres ne constituent les clés définitives qui permettent de la dépasser.
L'enquête de l'auteur le mènera jusqu'à la fille du responsable du camp hollandais à partir duquel les juifs, homosexuels, résistants politiques, étaient envoyés dans les camps de la mort. Scène bouleversante où la compassion prend la place, où le répit est offert au lecteur, à la vieille dame qui ne retient plus ses pleurs, à l'auteur qui a ce pouvoir immense d'offrir sa sollicitude, parente du pardon.

NB : au mois de mars, Actes Sud publiera un roman de Daniel Arsand sur un homosexuel survivant d'un camp de la mort. Son titre : Je suis en vie et tu ne m'entends pas. Je vous en parlerai, parce que je crois que c'est un coup de maître.

Commentaires

  • Merci pour cette remarquable analyse. mise en abyme du deuil, de la recherche, de la culpabilité.

  • merci. Je suis d'autant plus heureux que l'auteur a eu la gentillesse de me faire part de sa satisfaction à la lecture de ce billet.

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