Jour de Congé
Christian Degoutte
Thoba's éditions.
Une femme, qu'on imagine jeune (« tendre cycliste, juste vêtue des particules de la vitesse … les cuisses … dans le fourreau d'abeilles de la lumière ») profite d'un jour de congé pour se promener en vélo, « sous un soleil massif ». On suppose un été dans le sud de la France, Tarn, Ardèche ou canal du Midi... la jeune cycliste traverse le paysage. Sous la lumière, sa robe oscille entre le vert et le bleu. On est à son rythme, elle prend des photos, cueille l'eau d'une cascade entre ses paumes, s'attarde sur les insectes qui sont autant de petits dieux, fait une sieste dans l'herbe, s'attable au hasard et mord dans une pizza « grande comme sa figure », s'étend au bord d'un lac pour goûter « cette presqu'île du temps qui s'étire sous l'herbe souple », longe un canal, sa course est alors une corde fine « c'est du Bach au clavecin ». Elle va ainsi « à peine plus audible qu'une abeille chargée de pollen », jusqu'au soir où elle rêvera, accoudée à son balcon au dessus de la nuit citadine, revivant le souvenir de sa promenade. Le chemin, les enfants qui s'ébattaient dans la rivière au fond d'une gorge, les familles chargées de glacières qui s'installaient, les préparatifs d'une fête de village qui sonnaient dans l'air (« tubes d'acier ... gong sous les platanes »).
Comme souvent (toujours ?) chez Christian Degoutte, la vie est sensuelle, tout respire et tout bat, la chair est partout sous le soleil : « les mamelles de bruyère » ; « une fillette sur une balançoire, échevelée jusqu'au sexe » ; « les cailloux gardent mémoire de la sueur » ; « le temps est un animal qu'elle caresse contre sa cuisse » ; mais c'est comme ces vanités où la corruption guettait la rondeur charnue des fruits. La cycliste se sait minuscule, elle connaît la fragilité des choses, ou bien est-ce l'auteur qui ne peut s'empêcher de la lui rappeler ? Il sait, lui, que sa belle photo prise au dessus d'un ravin, est ratée, que les roues sont passées innocentes, « entre les larves qui boulangent la terre » ; que « la graine qui a élu le bord du ravin » est devenue un pin tordu ; que le vent n'a pas plus de visage que « le bassin de couleurs » d'un écran de télévision ; et que les idées qui naissent pendant la promenade ne changent rien à la prétention de vivre : « comme si penser lentement allongeait la vie » !
Le texte de Christian Degoutte est accompagné, dans cette belle édition à l'italienne, des œuvres de Jean-Marc Dublé. L'artiste a choisi le mode étonnant du « mail-art » pour apporter ses couleurs au poème. La lecture est rythmée par les reproductions d'enveloppes peintes envoyées à des amis. Echo chaleureux des lettres de vacances, du voyage, du parcours, de toute une vie qui reste scellée dans le secret du papier. Jean-Marc Dublé a travaillé graphiquement les notions de boucles, de circuits, la succession cinétique des verticales, évocation de la déformation des éléments du paysage, autour de notre cycliste.
Une réussite manifeste que je vous invite à découvrir. Christian Degoutte sera mon invité, avec Emmanuel Merle, à Gilly-sur-Isère, le 3 juin. Et je sais que Jean-Marc Dublé sera présent. Comme le monde est bon de produire infatigablement des êtres aussi précieux !
« Ton seul chemin, c'est ton corps, dit-elle en tapant
du pied sur le goudron, file ! En un rien de temps
le vipéreau se mélange à l'herbe. »