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Couv_Beinstingel.jpegJournal de la canicule. Thierry Beinstingel. Fayard.

Ce roman de la rentrée 2015 est une très fine analyse de la manière dont l'écriture s'impose à un quidam et lui permet de dépasser ses questionnements, pour finir par lui permettre de s'améliorer, en quelque sorte. En tout cas, de lui apporter un peu de bonheur. Le roman est construit sur le mode du journal, rédigé sur un cahier d'écolier pendant la canicule de 2003. Le narrateur est un célibataire (séparé plutôt, mais depuis assez longtemps pour avoir assimilé la condition du vieux garçon qui rend visite à sa mère dans sa maison de retraite), modeste fonctionnaire, sûrement assez transparent, resté pendant l'essentiel de l'été pour superviser un chantier de voirie assez délicat.
Intrigué par l'absence prolongée de ses voisins, il s'enhardit à entrer dans leur jardin, trouver un accès et pénètre un jour dans leur maison déserte. Là, il observe cette intimité étrange, offerte et silencieuse, ce monde arrêté, comme figé par la mort. Où sont-ils ? Où sont le couple, leur garçon et leur fille, deux enfants dont les chambres sont désagréablement dissymétriques ? Sans vouloir rien déranger, le narrateur s'habitue jour après jour à visiter la maison, de plus en plus fasciné par le drame qu'il devine derrière cette absence anormalement longue. Les semaines passent, un mois passe, un deuxième mois… les voisins ne sont toujours pas rentrés, la canicule impose sa respiration à la ville. Le narrateur consigne tout, avec une obsession du détail. C'est un technicien, un amoureux de la symétrie, de l'observation précise et mesurée. Cependant, ce terne personnage prend goût à coucher sur un cahier (seul vol qu'il s'autorise dans la maison abandonnée) ses faits et gestes, ses hypothèses, l'avancée de son enquête, puis ses réflexions intimes, l'émotion de ses rencontres, ses pensées. Un nouveau cahier est bientôt nécessaire. Écrire devient un palliatif à ses perquisitions, il se rend moins souvent dans la maison des voisins, écrire lui permet de comprendre des choses sur lui et sur les autres. Se dessine alors le véritable propos du livre. On croit être invité dans une enquête policière, haletante, angoissante (c'est l'effet produit, d'abord), et puis l'on prend conscience que le récit nous entraîne ailleurs. On voit alors chez ce fade petit fonctionnaire, s'affirmer l'humain bienveillant qu'il a toujours été, l'homme sans colère et sans amertume, celui que les femmes choisissent pour lui raconter leurs déboires, et qui aurait aimé avoir un enfant.
La difficulté étant pour l'auteur d'imiter une écriture pâle et factuelle, parfois alourdie de détails techniques (le narrateur réalise parfois que ce qu'il écrit n'a pas d'intérêt), d'être assez adroit pour produire avec cela de la littérature, mais une littérature qui serait à la portée d'un diariste seulement préoccupé de décrire les événements anodins qu'il traverse, cela sans la moindre ambition littéraire, justement. Et de réussir à faire progresser cette narration faussement médiocre vers la force de questionnement des grands textes. C'est virtuose, sans avoir l'air d'y toucher. Une belle surprise (je ne connaissais pas cet auteur), une belle réussite.

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