Évidemment, j'ouvre le 14 juillet d'Eric Vuillard avec une grande curiosité et un brin d'appréhension. Curiosité car, comment cet auteur que j'admire s'est-il emparé de la Révolution française, lui ? Comment s'est-il arrangé de la documentation, comment a-t-il fait parler ses personnages ? Quant à l'inquiétude, elle est légitimée par une comparaison toujours possible (due notamment à la proximité des parutions) comparaison dont je sortirais inévitablement malmené, même si nos projets sont très différents. Eric Vuillard (l'auteur du formidable Conquistadors et de l'excellent Tristesse de la terre, entre autres), a choisi de concentrer sur 200 pages le récit de la prise de la Bastille en prenant soin d'en situer rapidement les prémices dans les émeutes d'avril chez Réveillon (le fabricant de papier peint qui avait décidé de baisser la rémunération de ses ouvriers). Pour ma part, j'entraîne le lecteur de La vie volée de Martin Sourire dans un vaste mouvement, depuis l'enlèvement de mon « héros » par la Reine jusqu'aux guerres de Vendée et au-delà (disons de 1777 à 1794). Je me place dans une veine romanesque classique, dont la modernité de traitement apparaît par irruptions soudaines, comme par bouffées, et dans les méandres particuliers de mon histoire, les choix opérés parmi les personnages, les événements relatés.
Je lis les premières pages de 14 juillet et, à la fois défait et admiratif, déclare à ma douce : « C'est génial ! » Comme je me sens largué avec mon énorme machine d'un volume double ! Pour preuve, je lis un extrait à voix haute. Ma douce admet que c'est très bien (ne veut pas me faire de peine). Le livre refermé, l'impression d'être dépassé s'est estompée. Le livre de Vuillard est fort, piquant, précis, amusant parfois, profond et tendre quand il s'attarde sur les destins, les notions de foule, d'individus et de peuple (tiens, tiens), mais quoi qu'il en soit, il est tellement différent du mien que je ne pense pas qu'une comparaison honnête soit possible. Si la dimension humaine nous obsède l'un et l'autre, la savoureuse richesse d'anecdotes produites par Vuillard constitue un instantané. C'est le quotidien d'une foule entraînée dans un mouvement extraordinaire presque malgré elle, c'est le grand cirque dérisoire où se cristallise comme par inadvertance un moment historique, dont il fait son miel. Pour ma part, je m'interroge sur cette ambiguïté : la Révolution française était-elle inéluctable ou bien, étant advenue, doit-on considérer qu'elle était nécessaire ? Qui trahit nos élans mieux que nous-mêmes ? L'actualité nous pousse à mesurer constamment cet héritage et nous engage à approcher nos vérités par la variété de lectures des événements. Bref, je vous souhaite de lire 14 juillet, et le plaisir que vous en aurez ne disqualifie pas celui que vous pourriez avoir, j'espère, en lisant La vie volée de Martin Sourire.
Il ne m'a pas échappé que mettre en relation ces deux livres était une manière de les comparer et surtout, qu'on peut y voir une prétention dont je n'aurais pas été conscient. Je vous le dis, pour conclure : mon masochisme ne se laisse pas intimider par ma vanité.
Commentaires
Pas de rivalité entre ces deux livres, tous les deux excellents, mais une sorte de camaraderie, une complicité historique!