Elle est propice aux confidences, cette maison. J'ai pu l'éprouver pour moi-même, quand j'expliquais à Corinne ou à Jeanne, ou à d'autres, des moments de ma vie que seule l'écriture avait été capable de me soutirer jusque là. Oui, c’est la maison qui inspire cet abandon, plutôt que les personnes à qui je me confie. J'ai eu des amis, ailleurs, des êtres bienveillants, dans des cadres différents, propices, superbes. Aucune âme-soeur, aucun lieu aimé, n'a rompu mes défenses comme Malvoisie. L'autre lieu des révélations intimes, c'est l'écriture, comme je l'ai annoncé plus haut. C'est un paradoxe connu, on livre sur les pages, lues par tout le monde, sans filtre, sans choix des destinataires, des secrets qu'il est impossible d'énoncer sous le regard d'un autre, en présence. Comme on se livre à des étrangers plutôt qu'à des proches. Pour Antoine, je ne sais si le phénomène est neuf. Il m'a dit un jour qu'il suivait une psychanalyse. Son fardeau est tel qu'il est comme un poison qu'il lui faut expulser, me répète-t-il. « Après je me sens mieux. » La petite, la veille, ses jeux qui l'éloignent des parents, l'accident toujours possible, tout cela lui a remis le drame en mémoire. Le drame essentiel, lointain, primordial. Enfin, il peut parler, c'est tellement précieux. Je l'écoute, Nous sommes debout sous les fragments d'ombre que procure le bignonia, le soleil remue dans son creuset la lumière fondue qu'il épanchera sur le jardin, Antoine n'en a cure, il n'y tient plus, c'est une légende trop longtemps contenue. On ne sait jamais, un auditeur de confiance un jour, moi maintenant, qui sait, pourrait éclairer cette tragédie des origines, lui dire enfin pourquoi. Nous élaborons les plus belles constructions de pensée pour trouver un sens à ce fatras que sont les drames, et le fatras résiste à toute logique. Le malheur surgit et l'on croit d'abord voir, sous l'effet de la révolte qu'il inspire, une compréhension se dessiner. Et puis, c'est l'abattement devant ce qui, définitivement, n'a pas même la clarté d'une farce. Antoine continue la psychanalyse commencée il y a des années. Des années de confidences qui soulagent un peu sur le moment, mais aucun progrès. Il est toujours sous médicaments, toujours inconsolable. Alors il saisit l'occasion de bénéficier enfin d'une oreille bienveillante. « Ma femme était avec ma mère en train de faire les cochonnailles... » commence Antoine. Et j'apprends qu'il se maria avec une femme nommée Catherine, j'apprends qu'il eut un fils, j'apprends comment mourut le premier enfant d'Antoine et de Catherine. « Et c'est à partir de là que tout est parti en malheur. »
Malvoisie. Roman en cours d'écriture.