Je ne l'avais vue que deux ou trois fois, beaucoup appréciée parce qu'elle était le symbole d'une exigence dans l'écriture, j'avais lu ses textes impeccables et inspirés. Mais je n'étais pas un proche. Quand un ami à elle (presque un parent tellement ils se connaissaient bien), nous a appris la mort de N. dans un mail laconique, hébété, assommé, j'étais sous le choc. J'ai appelé cet ami, redoutant les précisions qu'il allait me donner, et en effet : N. s'était suicidée. Submergé d'émotion, j'ai fondu en larmes incontrôlables, malheureux de cette démonstration, tandis qu'à l'autre bout du fil, un de ses amis les plus proches serrait les dents et affrontait sa douleur avec dignité.
J'ai mal dormi ensuite, enfin encore plus mal que d'habitude je veux dire. Remuant les souvenirs de N., le peu de souvenirs que j'avais, le visage de N. souriant, N. lisant un texte, etc., mais surtout, mêlé à l'émotion que je ressentais, le sentiment que ma souffrance était illégitime. Que moi, qui l'avais si peu connue, je n'avais pas le droit de sembler plus accablé que ses amis intimes. Je voyais ma peine comme une indécence et m'insultais intérieurement d'une telle obscénité.
J'ai longtemps hésité à me rendre aux funérailles, pour la même raison. Finalement, in extremis, j'ai décidé de m'y rendre, ma douce m'a accompagnée. Elle connaissait bien N. aussi. Nous sommes restés au fond pour ne pas être vus. Je n'ai pas pleuré, cette fois. Comme un qui a compris ce qu'est la vraie douleur.
Commentaires
Très belle réflexion sur la douleur. Qui n'a rien d'illégitime pour autant: il m'arrive de ressentir au plus profond la disparition de personnes que je ne connaissais pas.
C'est étrange, n'est-ce pas ? En ce qui me concerne je crois que je suis particulièrement affecté par le suicide.