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Le feuilleton de l'été

Pieds nus sur les ronces - 40

 

    Une semaine, c'est une étendue variable, une onde que l'on remue du bout des pieds, un ciel qui change de couleurs, mille choses d'un bout à l'autre de la planète. C'est une portion d'existence pour les créatures douées d'une longue vie, un vaste cycle pour celles qui naissent, s'accouplent et meurent dans cet intervalle. Sauf pour Mina et Lucien, gestes rivés aux contraintes quotidiennes et capables d'en apprécier, par les muscles et la peine, les minuscules triomphes ou défaites, sauf pour ceux-là, cette durée n'a pas beaucoup de sens à Malvoisie. Alexandre Cot y déroule des siècles de culture en attendant la fin de tout ; Joël Klevner s'y abreuve et s'y perd, que certains jours s'évanouissent sans crier gare, que d'autres s'imposent à sa pensée heure par heure, dans tous les cas, il en saisit l'essence et la traduit dans une forme écrite ; les Cruchen, vestales séquestrées, repliées sur leur énigme, n'en savent rien, le jour grisâtre faiblit derrière les fenêtres closes sans qu'elles y prêtent attention ; Arbane Cruchen note les visites et les dépenses, les travaux à faire, les commandes à effectuer, elle connaît la valeur des jours mais le temps ouvre l'éternité devant elle, la poussière, la crasse et les moisissures ajoutent leurs strates aux choses qui l'entourent, un mouvement naturel, un temps géologique intégré à la fabrique des heures, elle a renoncé à s'inquiéter de cela, les femmes qui l'ont précédée sont des repères suffisants, elle se fie à elles pour estimer la seule mesure qu'elle doit avoir de l'écoulement de la vie ; Syrrha écrit, son corps est versé entier sur le clavier qui maintenant enchaîne les lignes reprises du papier, elle est dedans, tout entière là, dévorée par une force qui déborde, alimente une crue, les mots ont une fluidité qui ne la surprend plus, c'est naturel, tout vient, elle respire elle écrit, elle écrit, tout s'épanche et jubile, les souvenirs affluent, s'organisent sans effort, elle ne sait pas quand cette grâce finira de bercer son récit, elle ignore jusqu'aux noms qui s'égrènent sur l'écran, tout est bien, tout vient, elle écrit. Quel était ce projet qui devait l'arracher à une telle joie, lui commander d'en finir, de mettre un point au terme des pages ? C'est une histoire ancienne, une promesse, un conte, rien qui vaille, seul le temps offert à l'écriture est essentiel, les appels et les prières, les suppliques de sa mère, du médecin, de son éditeur, de Katrine Viognier, toutes les peurs et les colères s'essoufflent et se taisent au seuil de la chambre ou dans le secret de la bibliothèque, les gens de l'extérieur ont un langage confus qui ne sait rien lui dire, les paroles s'éparpillent dans le hall parmi les marbres et les tentures, les mots qui disent c'est fini, tu as fini, reviens, et tant de choses indifférentes, se diluent le long des parois, se désarticulent aux marches des grandes salles. Une semaine ? La galaxie tourne encore, il y a des soleils plus loin, qui éclaboussent des mondes inconnus, le temps n'est pas achevé, il vient juste d'entamer son cycle, elle peut écrire encore. Elle a rejoint Joël dans ce songe dérivé, Joël qui la comprend, l'encourage. Alexandre veille sur eux et sourit, car la fin n'est pas dite, Arbane caresse les fronts d'une femme qui caresse le front d'une femme, organise le quotidien autour du songe des écrivants. Il n'y aura bien que l'incendie. Il n'y aura bien que l'incendie. Et en l'attendant, deux semaines, trois semaines sont passées, une autre et une autre encore. Et d'autres et d'autres,

 

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