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Le feuilleton de l'été

Pieds nus sur les ronces - 44

 

    « Syrrha ! » C'était la voix de Mina. Venue me chercher. J'ai eu la sensation plus crue de la transformation des choses que j'avais notée avant cela, le changement devenu basculement. La couleur du ciel, le couchant qui se formait, là où le soleil se lève d'habitude. Je me suis habillée vite, un peu sonnée à regret mais tout de même, je crois que je voulais voir. Vérifier. Nous sommes descendues. Tout le monde était là, même les trois générations de Cruchen, virées de leur thébaïde. Très bien mais maintenant, que faire ?


    Que faire ? a dit Arbane, en se tournant vers Alexandre. Il était calme. Il savait. Il avait rêvé tout cela, ou l'avait peut-être vécu, après tout, que savaient les autres de son passé ? Peut-être n'était-il pas resté sa vie entière entre les rayons de sa bibliothèque. Alexandre s'est adressé à Lucien, qui avait gardé le bras tendu vers Mina pour l'engager à le suivre « C'est différent, cette-fois. Ils seront là avant l'incendie ». Arbane a pris le bras de sa mère en gémissant. Lucien s'est exclamé qu'importe, moi je pars. Il a entraîné Mina et s'est retourné sur le seuil. Les battants de la grande porte ouverts brusquement ont alors vomi une lumière de fournaise qui a jeté son haleine jusqu'aux dernières marches de marbre. Mina et lui faisaient deux silhouettes noires découpées contre l'écran écarlate du dehors. « Ceux qui veulent survivre, c'est le moment, je n'attendrai pas ! Syrrha, Arbane, venez ! » Arbane a gémi en serrant plus fort le bras de sa mère, toujours muette « Je ne peux pas ! » Syrrha n'a pas répliqué. Elle avait interrompu ses retrouvailles et il lui tardait de remonter dans sa chambre. Joël a simplement demandé à Lucien : Vous avez votre fusil ? Lucien a acquiescé et n'a rien ajouté. Alexandre a dit qu'il pouvait prendre le sien, en plus, que lui ne l'utiliserait pas. Il a regardé Joël : « Toi, tu le veux ? » Joël a fait non de la tête, il a lancé un regard triste à Syrrha. Il a compris qu'elle non plus ne bougerait pas. De toute façon ils arrivaient, ils seraient là avant l'incendie. Lucien s'impatientait. « Arbane aidez-moi ! Au moins votre mère, au moins votre mère et sa mère... » Arbane sembla sortir d'un songe, elle s'avança vers Lucien et Mina, poussant Madeleine qui prit par la main sa mère. Elles marchèrent somnambules, tellement lentes, si lentes. Dehors, Lucien fit basculer le hayon du pick-up. Il dégagea un entassement de valises, des cartons, il hurlait « Vite, vite ! » Syrrha et Joël se joignirent aux efforts de Mina pour faire grimper la plus vieille à l'avant et Madeleine à l'arrière parmi les bagages. Mina s'engouffra à son tour dans l'habitacle en poussant la vieille folle sans ménagement. Le pick-up démarra en arrachant le gravier. Arbane, Joël et Syrrha, sortis comme aspirés par la dynamique de la scène, virent le véhicule disparaître au bout de l'allée. Ils se tournèrent. Le ciel à présent était à moitié dévoré par les flammes, un rempart de feu se dressait au delà du domaine, avalait la forêt, des lances éclatantes grimpaient le long des fûts et les faisaient exploser. Le parc avait pris une couleur de sang frais et les murs du château ondulaient, ses ombres s'allongeaient et se rétractaient sous la lumière vibrante, comme une respiration. Joël revint en arrière, gravit les marches qui menait à la grande porte, il exposa son visage à l'éblouissement de l'incendie. « De toute façon... »

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