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Art

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    Makapansgat-pebble-Makapansgat-South-Africa_University-of-Witwatersrand_copyright-Brett-Eloff_1-819x1024.jpgEn Afrique du sud, un jour de 1925, on découvrit ce galet à côté des ossements d'un australopithèque. Caprice naturel, sa forme évoque un visage. Les yeux, la bouche entrouverte sur une denture équivoque (riante ou menaçante)… même sa composition de jaspe rouge foncé pouvait paraître à son propriétaire une imitation de la couleur de sa peau. Ce qu'il est essentiel de rappeler, c'est que l'australopithèque est un hominidé qui a vécu il y a entre trois et quatre millions d'années, soit un ancêtre lointain et possiblement non-direct, à peine un cousin éloigné, une autre humanité disparue sans que nous en ayons hérité le moindre caractère. Sauf que… le galet de Makapansgat témoigne à l'évidence d'une pensée symbolique. Ce que sous-entend cette approche est vertigineux : la pensée symbolique serait une construction inhérente au genre hominidé, sapiens ou pas, et née avec l'origine de notre espèce. Ce n'est pas une conquête de notre cerveau, nous avons hérité de l'art sans le moindre effort et ceux qui nous ont précédés, qui ont peut-être cohabité avec nos propres ancêtres, en possédaient également le sens. L'abstraction était dans notre berceau, un cadeau dont nous avons mêlé les possibles usages : l'art et la religion, puisque les deux sont affaire de symboles, essentiellement. Plusieurs millions d'années… Sommes-nous parvenus au stade où nous pourrions enfin démêler les conséquences d'un tel héritage ?

  • 3598

    Le peintre reposa son pinceau. Il pensait s'être trompé. Cela lui arrivait parfois. Il traçait, sur une énième toile faite à sa mesure, une suite de nombres qui avait commencé avec le chiffre « 1 », quarante-six ans plus tôt, sur une première toile qu'il avait choisi de nommer détail, parce que chaque tableau n'était qu'un élément de l'ensemble, et c'est la somme des tableaux qui constituerait l’œuvre de sa vie. Des centaines de détails s'étaient succédé depuis. Il n'avait jamais dérogé. Jour après jour, il avait poursuivi la plongée monacale et joyeuse dans cette énumération infatigable. Ainsi, il avait dépassé largement le nombre de cinq millions. Où en était-il ? Il recula, rembobina la bande magnétique pour écouter le dernier enregistrement. Année après année, depuis qu'il avait résolu d'ajouter 1 % de blanc dans sa peinture noire, la trace de ses chiffres s'était insensiblement rapprochée du blanc de la toile. Il peignait maintenant des chiffres blancs sur un fond blanc et l'enregistrement de sa voix qui prononçait chaque nombre tandis qu'il le dessinait, lui était un secours précieux quand, comme en cet instant, il doutait de lui. Sa voix déformée par la restitution électrique, prononça dans sa langue natale : « cinq millions six-cent sept mille deux-cent quarante ». Il revint à la toile, trempa le pinceau dans la mixture, le fit tourner d'un geste automatique et planta son vieux corps à la lisière, là où les derniers traits se distinguaient encore par un reste de brillance. Il écrasa la pointe sur la toile, éprouvant cette sensation – venue plus de cinq millions de fois – de la synchronisation du temps de sa vie avec le temps de son œuvre, et traça un nouveau « 5 » suivi d'un nouveau « 6 » suivi d'un nouveau « 0 », etc. puis il énonça le nouveau nombre peint. Il travailla ainsi quelques heures. Il pâlissait. Sa main tremblait décidément beaucoup trop. Il s'autorisa une pause.

    Le 6 août 2011, Roman Opalka expirait à l'âge de 79 ans et son œuvre s'achevait.
    Il avait peint le nombre 5607249 sur son dernier détail.

     

    (Prologue de "Demain les Origines, vol.1" En cours de lecture chez Mnémos)

  • Oh my GASH !

    61f3a16875a6f8c0709431c061f81595_original.tif.jpegGash est un projet de série d'animation, inspiré d'une BD du grand Petelus, que j'avais chroniquée ici. Nul doute que le propos minimaliste d'origine s'est quelque peu étoffé et le nombre de protagonistes multiplié pour accoucher d'un argument assez ample pour motiver toute une série.

    Les deux créateurs du projet, Lionel Quéroub et Olivier Paire (alias Petelus), ont bossé comme des dingues pour mener à bien la première phase de réalisation : un appel à financement via la plate-forme Kikstarter. Le lien ICI. Ils ont réussi, pour convaincre leurs futurs fans, à mettre en scène l'univers de la série dans un teaser superbe et alléchant. Cette première étape consiste à financer une véritable bande-annonce, plus riche et longue que ce bref aperçu, un "trailer" nécessaire pour intéresser des producteurs et chaînes de télé, et qui devra déboucher sur le financement (encore une étape de ce long processus), sur le pilote de la série. Nous sommes nombreux à y croire, mais le temps est compté : le financement participatif sera clos le 20 avril. Il est vital pour un tel projet, que le financement débute vite et fort. Bon, si vous ne me trouvez pas, là, dans les tout premiers contributeurs de ce projet magnifique, c'est simplement parce que ma douce est partie ce matin avec ma carte bancaire. Passé ce détail, dès ce ce soir, je participe. Vous me connaissez, n'est-ce pas ? Je ne vous solliciterais pas sur Kronix pour une œuvre dérisoire ou passable. Gash sera un événement dans l'histoire de l'animation hexagonale. Voici l'occasion de participer à l'histoire artistique de notre pays. Rien de moins.

  • 3408

    Allez, vite fait, un petit panorama rétrospectif de l'année qui vient de s'évanouir. Elle a existé, c'est ainsi, personne ne pourra nous enlever ce que nous y avons fait, ni nous absoudre de ce que nous n'aurions pas dû y faire. Je vous épargne les soucis que chacun traverse dans sa vie de tous les jours (par contre, je ne vous épargne pas mes réalisations, c’est mon blog, vous êtes assez grands pour passer à autre chose, je vous fais confiance).

    Côté écriture, beaucoup de travail pour pas mal de déception (voire d'ébranlements). Deux pièces de théâtre. L'une, acceptée, mais dont la production est repoussée à une date indéfinie : «  Le sort dans la bouteille » (titre provisoire, je vous rassure). Une autre, née d'une initiative passionnante : « Courage », écrite pour une classe de Seconde au lycée Jean-Puy, à Roanne. Nous verrons cela mis en scène par une professionnelle et interprété par les élèves (et pourquoi pas, aussi, par des profs audacieux) avant la fin de l'année scolaire, logiquement. Il y eut aussi cette belle expérience autour des témoignages des tisserands de Charlieu et environs : « Portraits de Mémoire ». Un site, des photos et vidéos de Marc Bonnetin et des musiques de Jérôme Bodon-Clair. Ajoutons deux scénarios inédits : l'un de Bande-Dessinée, pour l'ami Thibaut Mazoyer en recherche d'éditeur, et un de documentaire : « Joseph Déchelette précurseur de l'archéologie ».

    Hors les romans avortés (il y en a eu deux, abandonnés cette année : « Cryptes » et « Mado »), j'ai achevé deux manuscrits, l'un pour Mnémos, l'autre pour Phébus. Les deux ont été rejetés, ou plutôt... pas acceptés en l'état. Des ratés, quoi. Plus d'un an d'écriture pour rien, si l'on veut voir le verre à moitié vide (ce qui est ma nature, hélas). Tout reprendre, tout refaire, tout reconsidérer, sans garantie de faire mieux. Bon. Encore sous le coup de cette double perplexité de mes éditeurs, je n'ai pas écrit plus d'une page ou deux, depuis.  Ces échecs m'ont atteint plus que je ne saurais le dire, plus que je ne croyais en tout cas. Combien de temps peut-on se prétendre écrivain quand on n'est plus publié ? Dans le même temps, j'ai vu tant d'amis auteurs bien « implantés », réputés, sûrs, dont les manuscrits sont refusés… Je ne me plains donc pas. Je préfère qu'un éditeur me refuse des textes faibles plutôt qu'il les accepte pour de mauvaises raisons (même l'amitié serait une mauvaise raison). Je vais donc tenter de travailler mieux, avec encore plus d'exigence. Dès que je serai remis de ce double uppercut.

    Côté publication, l'année a commencé avec clairons et tambours (en fanfare, quoi), par la sortie de « La vie volée de Martin Sourire » chez Phébus. Réception variable, mais plutôt bonne en général, une presse assez attentive à ce qu'elle considère comme mon deuxième roman (la presse ignore ma veine « imaginaire » et mes romans précédents, éditions trop confidentielles pour lui être parvenues). Des lecteurs nombreux, des retours, des fidélités qui se dessinent. Quelques prix ou sélections, de nombreuses rencontres, de nouvelles librairies qui commencent à s'intéresser à mon travail. Pour la première fois, avec ce titre, des éditions simultanées pour « clubs de lecture » : France-Loisirs, Le Grand livre du Mois… dont des libraires et amis me disent que c'est dévalorisant. C'est possible. Il faut que je vous dise, ici, qu'on ne me demande pas mon avis. Mon éditeur me prévient seulement que mon roman va être publié chez un tel ou un tel, point. Dans le cas contraire, m'y opposerais-je ? Je ne crois pas : je vis toujours le syndrome de l'auteur immensément reconnaissant (et un peu incrédule, même) qu'un éditeur veuille bien dépenser des sommes extravagantes en pariant sur ses écrits. Alors, si l'éditeur peut rentabiliser son investissement, et bien, ma posture d'auteur trop au dessus de la mêlée pour confier ses si belles réalisations aux communs, me paraîtrait à la fois méprisante et vaniteuse.
    2018, année aussi des sorties en poche de deux romans : « L'Affaire des Vivants » et « Les Nefs de Pangée ». Deux versions dont je suis assez fier. La couverture du poche de « L'Affaire des Vivants » enfin, belle ! comme j'aurais souhaité que celle du grand format le fût. Une seconde vie pour ces deux romans. Je n'ai pas encore les chiffres (il faut attendre plus d'un an), mais j'ai vu les livres bien diffusés, longtemps. Notons pour « L'Affaire » une diffusion particulière sous la forme « Mybookbox », une jolie formule et un contact chaleureux avec les inventeurs de cette formule.
    Côté publication, toujours, un grand merci aux Éditions Le Réalgar d'avoir accepté un texte singulier : « Lettre Ouverte à l'autre que j'étais », et aux éditeurs associés pour l'occasion : Mnémos et Les Moutons électriques, d'avoir élevé au statut de préface un article spécialement écrit pour l'occasion de la réédition de « Salammbô » de Flaubert. Une manière de se réapproprier ce monument et de le revendiquer comme l'ancêtre, le précurseur, du genre Fantasy. Vision à laquelle j'adhère totalement, d'où ma participation avec un long texte intitulé : « Salammbô, raté, comme un chef-d’œuvre ». Enfin, une publication confidentielle, prévue en 2017, ne sortira qu'en début de cette année : « Étrangères » aux éditions Les Petits Moulins.

    2017 aura été riche en commandes. Une conférence sur l'histoire de l'Art abstrait : « Retour aux signes » et une « masterclass » autour des scènes de batailles. Beaucoup de travail pour les préparer, je n'ai pas fait les choses à moitié, je vous assure. La récompense étant, par les réactions venues ensuite, de constater qu'on a pu apporter aux autres.

    Et puis un grand nombre de rencontres en librairies, en bibliothèques, dans des classes en collèges ou lycées, ou dans des salons du livre. Cette année, j'ai choisi avec plus de rigueur qu'autrefois ceux auxquels j'étais invité : Salon du livre de mer de Noirmoutiers (pour « Les Nefs de Pangée »), Fête du livre de Saint-Etienne, Salon du livre de Ménétrol et surtout le festival de littérature itinérant « Les Petites Fugues » en Franche-Comté, dont je ne cesse de vanter les mérites autour de moi. Je distingue l'expérience de la rencontre au « Hibou Diplômé », petite librairie de ma région, car elle avait la particularité d'être inspirée par un lecteur. Il se reconnaîtra, qu'il soit ici remercié.

    2018 s'ouvre avec la perspective d'une résidence d'auteur. Dès la semaine prochaine, je serai à Saint-Etienne, par la grâce d'un jury qui m'a proposé. Je ne vous accable pas de mes expressions émues. Sachez seulement que, parmi les membres dudit jury, il y a deux écrivains que je vénère (sans parler d'un éditeur et d'un bibliothécaire bienveillants). Je ne sais pas encore si Kronix sera le relais quotidien de cette expérience prometteuse mais je vous signalerai les rendez-vous publics qui vont ponctuer trois mois d 'installation dans la préfecture de la Loire.

    Assez parlé bilan, l'année 2018 s'ouvre sur de belles promesses. J'essaierai d'en être digne.

    Bonne année à vous aussi.

  • 3362

    Qui ferait remarquer au copiste du "Sacre de Napoléon", après trois ans de travail sur une toile de 70 m2, qu'il avait tout bonnement oublié Joséphine ?

  • 3311

    « Oh, mais il est très joli ton dessin mon petit, c'est quoi ? »
    « C'est la Goulue, et je m'appelle Toulouse-Lautrec, connard. »

     

    (d'accord, c'est une redite, mais l'original date de 2010. Je me suis dit...)

  • 3171

    Tandis que ses autoportraits sont impitoyables, voyez la beauté de Saskia, inchangée, dans les tableaux de Rembrandt.

  • 2914

    "Mon exigence m'inscrit dans la suite de Lascaux. Il n'y a pas de banalité dans Lascaux" ou comment relier l'essence de l'art à 17000 ans de distance. C'est à 17 heures, à la bibliothèque de Saint-Haon-Le-Châtel. Vous venez ?

  • 2913

    Demain, à la bibliothèque de Saint-Haon-le-Châtel (Loire), j'aurai le redoutable honneur de clore une série de causeries autour de l'art. Pour chacun des conférenciers amateurs qui m'ont précédé, une fois par mois, il s'est agi de proposer au regard des personnes présentes, une sélection de ses dix tableaux préférés. Bien sûr, je n'ai pas fait comme tout le monde (pour des raisons que j'expliquerai sur place demain) et j'ai l'intention de montrer dix œuvres choisies, nuance. Pas forcément des tableaux, pas forcément des œuvres que j'aime. Alors,choisies en fonction de quoi ?

    Un indice, dans ce texte déjà ancien :

    A1_eclipse.jpg"Le jour de l’éclipse, j’étais face à la mer.
    Le moment venu, quand la lune a finalement avalé le soleil après sa longue étreinte, le vent frais s’est levé, l’air a brusquement changé de timbre. La terre a basculé dans l’ambre et le cuivre, des couleurs étrangères. Puis l'obscurité s'est répandue, d'un trait. Une impulsion a jeté des étoiles dans la nuit neuve.
        Fasciné, j’étais ailleurs, j’étais autrement. Au bout de mes doigts : mes enfants, ma femme. Plus loin : des touristes, des inconnus. Tous saisis.
        Aussitôt, chancelant encore, je m’interrogeai. Il m’avait semblé retrouver dans l’émotion qui m’avait emporté une minute auparavant, une émotion connue. Je cherchai. Quand avais-je ressenti pareil éblouissement, pareil abandon de la raison ? L’éclipse était achevée, la fête finie, les touristes et notre famille rejoignaient à regret les voitures. La lune avait libéré le soleil, la terre avait recouvré ses couleurs.
        Pendant le trajet qui nous ramenait au camping, pendant le temps de l'endormissement ce soir-là, pendant les jours qui suivirent, je remuai le souvenir de cette sensation extraordinaire, mais que j'étais convaincu d'avoir éprouvé déjà. Cela ressemblait à l'émotion ressentie devant la beauté d'un paysage. Cela avait à voir avec le dépassement, la spiritualité, une notion qui échappe à la compréhension humaine ou que l'Homme peine à définir.
        Et soudain, cela me revint.
        B1_St-jean-baptiste-de-leonard-de-vinci-va-etre-restaure,M293825.jpgC'était au Louvre, visité dix ans plus tôt sans parcours établi. Au détour d'un couloir, je me plantai devant le Saint Jean-Baptiste de Vinci. Les larmes aux yeux, le souffle coupé, j'essayai de comprendre ce que mon corps et mon âme tentaient d'organiser, sous le choc, et sans ma volonté. Voilà : c'était cela, cette sensation. Cette impression d'être confronté à une œuvre surhumaine, de jouir d'une beauté qui dépasse la pensée commune, de contempler un artefact pourvu des forces incontrôlables et indifférentes de la nature. Le même élan, le même dérèglement de l'esprit, la même paralysie face à cette évidence. La révélation que de l'Homme, naît ce qui peut l'élever hors de lui-même. En quelque sorte, le vertige qui nous saisit quand nous sommes à la frontière du concevable."

     

    C'est à 17 heures, entrée libre. L'ambiance est agréable. Vous venez ?

  • 2905

    Un projet passionnant cette année, qui nous mènera, mes camarades Marc Bonnetin, Jérôme Bodon-Clair et moi-même, jusqu'à la fête de la musique 2017, s'intitule "Portraits de Mémoire(s)". C'est un travail réalisé en lien avec la Communauté de Communes de Charlieu-Belmont et la DRAC Rhône-Alpes Auvergne, principalement. Il s'agit pour nous de collecter dans un premier temps des témoignages sur le passé industriel et artisanal de la région, importante scène de la soierie, établie au XIXe siècle par les soyeux lyonnais, pour "délocaliser" (déjà) leur production. La collecte réalisée, nous écrirons des chansons-portraits (mais oui), car il nous a semblé que la chanson était le médium le plus immédiat, le plus populaire et le plus pérenne, pour espérer que la mémoire des acteurs de cette filière aujourd'hui presque disparue, se transmette et soit conservée par chacun, au cœur.

    Toutes les informations sur le site dédié, ICI.

  • 2780

    Jour de Congé
    Christian Degoutte
    Thoba's éditions.

    degoutte.jpgUne femme, qu'on imagine jeune (« tendre cycliste, juste vêtue des particules de la vitesse … les cuisses … dans le fourreau d'abeilles de la lumière ») profite d'un jour de congé pour se promener en vélo, « sous un soleil massif ». On suppose un été dans le sud de la France, Tarn, Ardèche ou canal du Midi... la jeune cycliste traverse le paysage. Sous la lumière, sa robe oscille entre le vert et le bleu. On est à son rythme, elle prend des photos, cueille l'eau d'une cascade entre ses paumes, s'attarde sur les insectes qui sont autant de petits dieux, fait une sieste dans l'herbe, s'attable au hasard et mord dans une pizza « grande comme sa figure », s'étend au bord d'un lac pour goûter « cette presqu'île du temps qui s'étire sous l'herbe souple », longe un canal, sa course est alors une corde fine « c'est du Bach au clavecin ». Elle va ainsi « à peine plus audible qu'une abeille chargée de pollen », jusqu'au soir où elle rêvera, accoudée à son balcon au dessus de la nuit citadine, revivant le souvenir de sa promenade. Le chemin, les enfants qui s'ébattaient dans la rivière au fond d'une gorge, les familles chargées de glacières qui s'installaient, les préparatifs d'une fête de village qui sonnaient dans l'air (« tubes d'acier ... gong sous les platanes »).  
    Comme souvent (toujours ?) chez Christian Degoutte, la vie est sensuelle, tout respire et tout bat, la chair est partout sous le soleil : « les mamelles de bruyère » ; « une fillette sur une balançoire, échevelée jusqu'au sexe » ; « les cailloux gardent mémoire de la sueur » ; « le temps est un animal qu'elle caresse contre sa cuisse » ; mais c'est comme ces vanités où la corruption guettait la rondeur charnue des fruits. La cycliste se sait minuscule, elle connaît la fragilité des choses, ou bien est-ce l'auteur qui ne peut s'empêcher de la lui rappeler ? Il sait, lui, que sa belle photo prise au dessus d'un ravin, est ratée, que les roues sont passées innocentes, « entre les larves qui boulangent la terre » ; que « la graine qui a élu le bord du ravin » est devenue un pin tordu ; que le vent n'a pas plus de visage que « le bassin de couleurs » d'un écran de télévision ; et que les idées qui naissent pendant la promenade ne changent rien à la prétention de vivre : « comme si penser lentement allongeait la vie » !
    Le texte de Christian Degoutte est accompagné, dans cette belle édition à l'italienne, des œuvres de Jean-Marc Dublé. L'artiste a choisi le mode étonnant du « mail-art » pour apporter ses couleurs au poème. La lecture est rythmée par les reproductions d'enveloppes peintes envoyées à des amis. Echo chaleureux des lettres de vacances, du voyage, du parcours, de toute une vie qui reste scellée dans le secret du papier. Jean-Marc Dublé a travaillé graphiquement les notions de boucles, de circuits, la succession cinétique des verticales, évocation de la déformation des éléments du paysage, autour de notre cycliste.
    Une réussite manifeste que je vous invite à découvrir. Christian Degoutte sera mon invité, avec Emmanuel Merle, à Gilly-sur-Isère, le 3 juin. Et je sais que Jean-Marc Dublé sera présent. Comme le monde est bon de produire infatigablement des êtres aussi précieux !

    « Ton seul chemin, c'est ton corps, dit-elle en tapant
    du pied sur le goudron, file ! En un rien de temps
    le vipéreau se mélange à l'herbe. »

  • 2684

    74_1_w1000h600.jpgMartin adore le vertige que lui procure ce dessin. C'est un prodige qu'il ne parvient pas à s'expliquer. Comment, sur cette feuille de papier, sur cette surface plane qui tient entre ces bras ouverts, l'Architecte a-t-il pu rendre la sensation de l'immensité ? Et chaque dessin de l'Architecte procure le même effet. Depuis trois mois qu'il vit ici avec Marianne, et surtout depuis les deux dernières semaines, depuis que l'Architecte est parti en leur laissant la jouissance et la surveillance de son logis, Martin profite de ses longues heures d'oisiveté, pour entrer dans le bureau aussi discrètement que si le maître était présent, sortir délicatement un dessin du meuble de classement, et le contempler longuement, avec concentration, à s'y perdre.

     

    Extrait de "La Grande Sauvage". Ecriture en cours.

    Image : projet pour la bibliothèque royale, rue de Richelieu. E-L Boullée, 1785.

  • 2683

    etienne-louis-boulc3a9e-1784-cc3a9notaphe-de-newton.jpgÀ son grand étonnement, le dessin immobile se met à raconter l'histoire de ces visiteurs, la majesté du monument amorce une fable, quelque chose d'aussi vaste que les légendes du Christ qu'on lui enseignait naguère. Quelque chose qui le dépasse, comme le dépassent les dimensions de la sphère, son globe qui se dresse comme une lune descendue sur la terre, immense, qui développe ses courbes loin au dessus des minuscules créatures à ses pieds. Comment ces fourmis pourraient-elles faire plus que rêver pareil délire ?

     

    Extrait de "La Grande Sauvage". Roman en cours d'écriture.

    Image : Le cénotaphe de Newton, par Etienne-Louis Boullée (1728-1799).

  • 2495

    C'est bientôt.

    Piégon, Emmanuel Merle, Christian Chavassieux, Corie Bizouard, Jackie Platevoet, Lucifer Elégie

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    C'est encore plus tôt.Malaucène, Emmanuel Merle, Christian Chavassieux, Corie Bizouard, Jackie Platevoet, Lucifer Elégie

  • Kinétoscope

    Dans un grand musée, choisir une vaste salle bourrée de peintures, et courir très vite en clignant des yeux entre chaque tableau. Cela reproduit de façon étonnante les effets du cinéma. Les toiles se fondent dans un mouvement, bataillent et se heurtent, s'épousent, dialoguent. C'est très beau. Enfin, je suis certain que ce serait très beau. Mais on ne me laisse jamais faire.

  • Zuzu

    Vendredi, j'apprenais la mort de Serge Zuliani. Zuliani est un peintre roannais dont la puissance picturale a été marquante pour ceux qui ont eu la chance d'y être confrontés. Car on était confronté à un tableau de Zuliani, il n'y avait guère de pacte possible. Ses toiles parfois immenses ne cessaient de manifester colère et étonnement face aux grands crimes barbares, génocide indien, erreurs judiciaires, dictatures sanglantes... De grands hurleurs érigeaient leur silhouette sur un écran éclaboussé de sang, des visages amérindiens occupaient des formats carrés énormes de leurs faces puissantes et austères.  J'ai vu craquer un banquier, en Allemagne, à cause d'un de ces féroces tableaux. Nous avions installé une des versions des « dictateurs » en face du bureau du malheureux employé qui nous supplia, après une journée, de déplacer ce cauchemar éveillé. Après un voyage de jeunesse aux Etats-Unis, Serge Zuliani avait peint les déserts américains, était tombé amoureux de ces peuples, n'a sans doute jamais cessé de frémir de l'injustice qui leur avait été faite et se poursuivrait toujours.
    Nous l'avons connu massif, puissant, mains énormes, bras noueux, visage plié de rage ou de rire. Nous l'avons vu vieillir. Mon retrait de Roanne, mon éloignement de ce milieu, involontaire, m'ont au moins permis de ne pas le voir exagérément maigrir et se désoler.
    Quelques œuvres de Zuliani sommeillent dans les réserves du musée de sa ville, mais ce sont des dessins et des peintures mineures et, si plusieurs collectionneurs ont, un temps, adhéré à la force de ses représentations inconsolables et lui ont permis de vivre son art pendant de nombreuses années, ils se sont lassés de l'acheter et leur engouement n'a pas été suffisamment relayé. Cependant, lui était sans faiblesse, sans détours et, si certaines périodes l'ont amené à dessiner des processions de femmes Felliniennes, son travail brut et violent, disons conscient, n'a pas séduit au delà de quelques passionnés. Il est resté un artiste confidentiel, pour le reste du monde. La veille de son décès brutal à plus de 80 ans, il confiait à un ami : « Tout le monde m'a oublié, je n'existe plus. » Cette lassitude a fini par l'emporter, avec la même absence de pitié que la maladie.
    Je n'étais pas au courant, j'ai su trop tard, il a été enterré hier, samedi, je ne sais ni où ni à quelle heure. Je n'ai donc pas pu témoigner, comme on dit, je l'aurais fait, je crois. Mais il y a un avantage à ce manquement : c'est que je ne parviens pas à me l'imaginer sous la forme d'un cadavre enfermé dans une boîte. C'est impossible, il était trop grand et trop fort pour ce misérable confinement.

    Il y a une cinquantaine d'années, il habitait au quatrième étage d'un immeuble. Du balcon, il laissait descendre et reposer au sol un seau plein de sable attaché à une ficelle, et la ficelle, fichée dans un manche court qu'il tenait entre ses mains. Ensuite, de là haut, chaque jour, il faisait remonter le seau en tournant le manche entre ses mains. La ficelle s'enroulait sur le manche. Le seau remontait. Quatre étages. Un seau plein de sable. A la force des poignets. Et bien voilà, la peinture de Zuzu avait cette puissance-là.

     

    (NB : inutile de chercher sur le net, vous ne trouverez aucune image. Il faut me croire sur parole)

  • Incarner une quête de l'âme

    Winfried Veit est un artiste qui s'interroge. Il est artiste dans ce but, probablement. En tout cas, sa nature lui dicte d'incessants questionnements que ses dessins, toiles ou sculptures tentent, au moins, d'exprimer. Les réponses ne sont pas de ce monde, ce n'est pourtant pas échouer que de parvenir à les donner à lire. Le temps ne fait rien à l'affaire, l'expérience ne résout rien, mais apporte des fragments de réflexion, fragments offerts aux autres, aux heureux visiteurs de la Galerie Le Réalgar, à Saint-Etienne, par exemple.
    « Hommes sans âme ? » se demande l'artiste. Quelle âme ? Ce qui est permanent en nous, qui nous dépasse, qui nous survit, qui nous relie à l'univers. Une mystique sans divinité, mais une foi du peintre en une parcelle, un scintillement précieux qui, issu de nous, est plus grand que nous. Sur chaque tableau, les corps se courbent, se penchent, exhibent des croupes ou des dos, mais aussi s'écartèlent, ouvrent les bras, crucifient l'espace de gestes mystérieux, d'appels énigmatiques. On va à la rencontre de femmes monumentales, de piétas où l'érotisme ne se voile plus, d'humains à qui l'on a greffé des ailes et qui en semblent encombrés comme on l'est parfois d'un cadeau immérité, trop beau, trop grand pour nous. Winfried Veit a travaillé obstinément, concentré, vif, acharné, pour cette exposition, pour aboutir à ce moment, avec en tête cette expression obsédante à la forme interrogative « Hommes sans âme ? ». Les anatomies réalistes, les muscles et les courbes se déploient dans l'espace rectangulaire et blanc du papier, s'expriment en crayon ou fusain dilué de jus clair, rehaussé de couleurs qui enrichissent les ombres, soulignent des contours. Autant de gestes nerveux et sûrs venus par addition épaissir la chair des figures représentées. Elle est certainement par là, entre les lignes, dans la superposition des glacis, l'âme que cherche Winfried, comme certain cynique cherchait un homme. Diogène s'était armé d'une lampe pour tenter d'approcher l'humain ; Winfried fait un pas vers lui, sa lumière se dépose, ébauche un contour, ses pinceaux détaillent la pénombre, quelque chose survient, qui n'est pas si loin de l'Homme, aussi proche que possible de cette âme qu'il ne renoncera jamais à vouloir cerner. Et ce ne sont pas les matérialistes obtus qui le détourneront de cette quête. Pour le plus grand bonheur de tous.

    Hommes sans âme ? Winfried Veit, Galerie Le Réalgar, rue Blanqui, Saint-Etienne, jusqu'au 20 Février 2015

  • Petites phrases anonymes

    Mon appel à soutenir l'effort quotidien de Kronix a été entendu. Après JMD, une source anonyme a gentiment fourni le matériel qui va me permettre de me concentrer sur autre chose que ce blog pendant quelques jours. Remercions la source, et allons-y :

    "116 poires.

    Tableau bien bio, 50x65, collection privée"

     

    Nous avons jugé qu'une illustration n'était pas nécessaire.

  • Entre nous

    Im01.jpgPar la sculpture, Catherine Chanteloube a choisi de construire un monde poétique et accueillant, tendre pour le visiteur. Elle utilise pour ce faire le matériau qui nous côtoie au quotidien de la façon la plus intime, le tissu. Le tissu, qui nous entoure de si près d’habitude, au point qu’on l’oublie, comme une peau, une mue aléatoire (ôtée puis reprise), se détache, s’élève, se structure et s’exhibe, se montre pour lui-même. Il devient un environnement dans quoi l’on voyage. Entre nous, Catherine sculpte des sémaphores, des madrépores, des coraux et des futaies vibrantes, et des voiles de nefs, prêtes à toutes les partances. Entre nous soit dit, le travail de Catherine Chanteloube nous dit « Entre ta peau et la peau de l'autre, entrons ». Entrons, nous : toi et moi. Entre l'air et nous, l'air de rien, le tissu s'étend. Et entre les tissus, par conséquent, c'est nous qui étendons nos gestes et nos places. Le tissu nous sépare, le tissu nous aimante. Par le vêtement, le tissu est notre langue commune. Notre langue à tous, humains, qui entrons dans le cercle des farandoles orchestrées par l'artiste.

    Entre Nous. Exposition Catherine Chanteloube. Couvent des Cordeliers, St-Nizier/Charlieu jusqu’au 31 août, tous les jours sauf le lundi 10h/12h30 et 14h/18h 19 h 04 77 60 07 42 Résidence : présence de l'artiste le 24 août de 14 h à 18 h.

     

    NB : ce texte est une commande ce l'artiste, pour présenter l'exposition. L'image qui illustre ce billet est celle d'une autre exposition de l'artiste, en un autre lieu.