Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

3481

Était-il si vital de se livrer à tant de voracité, à un tel prix ? Sans doute, c'est la loi de cette société acharnée qui n'abandonne sa proie que si l'effort n'est plus payant. Pas d'alternative. Et l'homme insiste. Il veut de la terre le fruit de ses entrailles. Or, cette dévoration ne fut pas seulement organisée sous le seul prétexte du profit, elle fut montrée en exemple, sacralisée, magnifiée, elle devint mythe, elle inspira des appels au travail, des imprécations, des prières à fournir l'énergie pour la guerre, pour la paix, pour la patrie, pour le retour des prisonniers, pour le redressement du pays, on intima à l'ouvrier l'ordre de ne pas baisser les bras, il était plus qu'un soldat, plus qu'un citoyen ordinaire, et ce faisant encore, la tâche n'étant pas assez grande, il se vit confier le rôle d'avant-garde de la contestation et de la solidarité ouvrières, de modèle de la résistance pendant l'occupation puis d'exigence salariale et de sécurité dès le lendemain de la guerre, sa sueur c'était le sang généreux qui vivifiait le pays, on éleva son épouse au rang de « femme de seigneur », leurs efforts contribuaient, quelles que soient les circonstances, à maintenir une certaine santé de la nation. Alors, déployer pour ce faire des trésors d’ingénierie, construire des monstres de métal et imaginer des procédés toujours plus puissants de dynamitage, d'excavation et de transformations, conforter le mineur dans la fable de son aristocratie, le convaincre de son utilité politique et sociale... tous les modes nécessaires à maintenir la production furent employés. Dans nos parages, l'avidité a marqué le pas. Il n'est qu'à comparer les six siècles d'exploitation locale qui aboutirent à l'extraction de quelque cinq-cents millions de tonnes de charbon, aux deux mois qui suffisent à la Chine, aujourd'hui, pour en produire autant, il n'est qu'à comparer ces deux frénésies, semblables à tant d'autres, pour s'étonner qu'une quête aussi intense, aussi importante à tous niveaux, ne soit plus qu'une rumeur. Si ce n'est plus de charbon, l'homme fera ripaille d'autre chose. Espérons que notre siècle soit le dernier qui s'exalte au spectacle de la dévoration. Nous avons déjà avalé tendons et nerfs les moins digestes. Nous sommes à l'os.

 

Extrait de "à propos de Saint-Etienne", écriture en cours.

Les commentaires sont fermés.