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Quand son mari, Dominique, lui a demandé si ça allait, c'est là que ça s'est passé. Il la trouvait fatiguée ce matin de novembre, et elle a seulement répondu, « J'ai mal dormi ». Elle aurait pu dire « J'ai accouché d'un enfant cette nuit, pendant que tu dormais ». Elle ne l'a pas fait. C'est ainsi que le petit corps tout neuf a été écarté du monde, définitivement.
Rose pouvait-elle annoncer à son mari qu'elle avait accouché ? Non. Pas plus qu'elle ne pouvait concevoir de l'avoir fait, d'avoir été enceinte, d'avoir porté cette enfant neuf mois. Rose a découvert qu'elle était enceinte au moment de l'accouchement. Et elle n'a considéré sa fille comme un être vivant que dix-huit mois plus tard, lors de son premier sourire.
Les juges, les avocats, les psys, les journalistes et les braves gens ont déroulé la litanie de leur incrédulité. On ne comprenait pas. Déni de grossesse, déni d'enfant, ça ne suffisait pas. Elle avait nourri cette enfant, l'avait habillée, la portait d'un point à l'autre de la maison, l'emmenait dans le coffre de sa voiture. À cette aune, la notion de déni, qui signifierait la négation absolue de l'existence de son enfant, n'explique rien.
Notre vertige, éprouvé quand nous avons appris, quand nous avons lu les titres putassiers de la presse, ressenti l'effroi d'une vie d'enfant cloîtrée par sa propre mère dans un coffre de voiture pendant deux ans, disaient-ils, notre vertige n'est pas né de notre incompréhension. Il réside au contraire dans le fait que quelque chose en nous, de profond, de lointain, mais accessible si nous le voulons vraiment, si nous n'avons pas peur, quelque chose en nous sait, sait parfaitement de quoi il s'agit. Le vertige qui nous a saisi ne vient pas de notre sidération, de notre incompréhension, il vient du fait que la vérité affleure, réside en une crypte dont nous connaissons la géographie, qui se dérobe à nos explorations comme un mot, comme un nom, un reste de cauchemar, qu'il suffirait d'un déclic pour nous plonger dans le spectacle effrayant de notre propre nature.

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