Il est double, ce vertige, il tient du physique et du mental, d'enfouissements concrets et psychologiques, ou quadruple si l'on veut, puisque les deux états dudit vertige sont redoublés par l'existence de deux réseaux relégués. Ceux que mes camarades stéphanois, pourtant du cru, élevés ici, sûrement nourris de mythes locaux où la mine se taillait la part belle et où la mémoire du Furan et de ses crues se transmettait, ceux donc que mes camarades ignoraient ou dont ils ne parlaient jamais. Cette innocence est corrélée au présent de la ville, car toute ville se conjugue au présent, en surface, existe sans que soit nécessaire de s'occuper de ce qui gît, sous elle. Est-ce à dire que les villes mentent, qu'elles cachent leurs secrets, tendent une peau maquillée sur une chair remuante qui patiente ? Qu'est-ce que c'est que ce passé enfoui ou ce potentiel d'avenir que l'habitant, plus ou moins conscient, se permet de négliger ? La Mère-rivière à laquelle la ville doit d'exister, rien de moins, circule là dessous et l'on n'est pas près de la remettre au jour, quant au passé minier sur quoi je vais d'abord m'attarder, lui aussi reste tapi, et pour de légitimes raisons : place aux vivants et à demain. C'est terminé, tout cela, enterré pour de bon, et ce ne sont pas quelques roulements d'épaule du sol ou le précieux travail des érudits, historiens amateurs ou professionnels, ce ne sont pas non plus les collections, les restes dont on retarde le délabrement, qui vont imposer l'archéologie ouvrière aux hommes de demain. C'est un dilemme, ça. L'histoire minière, ouvrière, politique, fait partie de l'identité de Saint-Etienne. Cela ancre et élève, pourtant une tentation existe d'en faire le deuil, pour avancer. Comment faire ? « Comment s'extirper de ce XIXe » questionne Lionel Bourg. Laisser parler ce passé comme un vieux qui radote, le laisser s'éteindre comme se refroidissent inéluctablement les crassiers ? ou aller au charbon (c'était tentant...), remuer les souvenirs, insister, présenter la facture, en tirer des exemples pour l'avenir ? À cela, la terre donne sa réponse. Boulangée par les hommes depuis le XIIIe siècle, elle a de ces mouvements d'humeur qui forcent l'intérêt. Quant au Furan, génération après génération recouvert, honni, sali et maltraité, régénéré mais enterré toujours, il attend le bon vouloir des hommes pour retrouver une fonction, n'être plus seulement un courant souterrain, contraint, négligé, mais un élément essentiel pour penser la ville de demain.
A Propos de Saint-Etienne. Écriture en cours