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  • 3574

    Je l'ai toujours vue, assise sur cette chaise, sur le trottoir, à nous regarder passer. Déjà vieille quand j'étais petit. Toujours là. Depuis l'enfance quand nous allions à l'école, jusqu'à la semaine dernière quand, par hasard, je me suis retrouvé dans mon ancien quartier. Elle n'avait pas changé, pas bougé. Un demi-siècle environ d'immobilité. La conquête spatiale, les guerres, les attentats, le réchauffement climatique, les grandes crises, tout a glissé sur elle, qui a préféré observer la rue et le trottoir d'en face, plutôt que l'agitation colorée des écrans. J'ai alors réalisé qu'elle était peut-être la sagesse incarnée. Une conscience plus élevée que celle des Sadhus ou des stylites les plus aguerris (et les plus exotiques). Cette minuscule créature, dans ma petite ville, détient peut-être le savoir ultime. Elle est peut-être Bouddha ? Pour en avoir le cœur net, je suis retourné la voir, bien décidé à lui parler. Comme j'approchais d'elle, qu'elle ne me voyait pas, je pus assister discrètement à l'échange qui se déroulait à cet instant : un vieil homme passa devant elle, s'inclina respectueusement en lui adressant un gentil bonjour. Un voisin sûrement. Quand il fût plus loin, mon ermite, sans même regarder le dos du personnage, étendit son bras dans sa direction, et le prolongea d'un superbe doigt d'honneur. J'ai rebroussé chemin.

  • 3573

    On a souligné avec raison l'influence de Jean le Baptiste sur Jésus, mais il ne faudrait pas sous-estimer celle de Jésus sur le prêcheur du désert. La secte de Jean avait une déplorable réputation quand intervint le messie, qui conseilla judicieusement de laisser ressortir les candidats aux baptêmes, après les avoir immergés.

  • 3572

    Son journal ne comportait que la date de son ouverture, un mardi du mois d'août. Suivaient des centaines de pages décrivant cette journée mémorable. Le reste de sa vie fut d'une banalité telle qu'il renonça à ajouter quoi que ce soit. Il se contenta désormais de se relire, jouissant à se remémorer les quelques heures de grâce de son existence. On le retrouva, vieillard  solitaire, la joue écrasée sur un carnet dévasté par l'usage incessant. Son expression figée avait conservé la trace d'une forte contrariété. Sa main était crispée sur le crayon avec lequel il venait de faire, au terme d'une ultime relecture, le bilan de ce mardi d'août qui l'avait tant inspiré : « 'tain mais en plus c’est complètement nul ! »

  • 3571

    Nos vies volontairement et scrupuleusement exposées sur les réseaux. La notion d'intimité s'est diluée. Selfies et caméras de surveillance, webcam, « story »… nous participons avec plus ou moins de complaisance à nos propres dévoilements. Est intime ce qui, montré au delà du périmètre de partage initial, cause une blessure à qui s'est exposé.

  • 3570

    La longévité de Bouteflika est la preuve que les EHPAD algériens sont bien plus performants que les nôtres.

  • Conte horrifique

    Le patient souleva sa chemise : « Regardez » dit-il. Le médecin ne put réprimer un cri d'effroi. Une plaie atroce barrait tout l'abdomen. Cela ressemblait à une grande gueule écarlate. « Le pire c’est quand ça crie. » Le docteur opina, avant de comprendre que cette phrase avait été prononcée par la blessure et non par le malade qui se mit, justement, à hurler.