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Cinéma - Page 4

  • Les amours d'Astrée et de Céladon

    d'Eric Rohmer

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    Rohmer connaît les principes de l'envoûtement. C'est patent dans chacun de ses films ; Rohmer est un sorcier. Chaque fois, la magie opère : toujours, une image, un plan, un moment parvient à faire oublier ce que, dans notre inculture cinéphilique, nous prenons abusivement pour des faiblesses, habitués à l'efficacité que nous sommes. Rohmer n'est pas efficace, il se balade dans son oeuvre, filme placidement les drames et les bonheurs, sans s'émouvoir, et sans nous demander si ça nous plaît.

    Ainsi, tente-t-il peut-être, avec l'Astrée, de récidiver l'exploit de nous plonger dans l'univers d'une littérature méconnue, comme il le fit avec Perceval le Gallois (Luchini à ses débuts, grotesque et subtil à la fois), et, comme toujours avec Rohmer*, malgré la pauvreté de moyens, l'indigence des décors, le professionalisme bridé des acteurs, la terne sobriété des plans, le ridicule antédiluvien des situations, le raccourci opéré dans l'oeuvre monumentale d'Honoré d'Urfé, l'absence de rythme), on se prend au jeu et l'histoire se met à fonctionner, à suivre son flux naturel. En l'occurence, on suit les aventures absurdes de Céladon. C'est peu dire que les engagements et la vision de l'amour ont changé depuis Honoré d'Urfé. Le décalage est énorme, et je dois dire qu'on pouffe. On pouffe beaucoup. On en a marre de pouffer, parfois. Mais Rohmer n'a pas cherché à être plus malin que l'original, il a imposé le premier degré. Céladon et l'Astrée sont un peu cons ? Ben oui, c'est la façon précieuse et baroque (le XVIIè) de voir l'innocence de l'amour, alors...

    Cependant, tout de même, refaire deux ou trois plans manifestement ratés (les "nymphes" qui descendent un talus en regardant obstinément où elles mettent les pieds pour ne pas s'entraver dans leur jupe, une robe qui se soulève laissant apparaître une grosse culotte noire de maintien...) n'aurait pas nui à la tenue de l'ensemble.

    Enfin, on aura noté le visage remarquablement beau d'Andy Gillet (Céladon).

    Kronix ne reculant devant aucun sacrifice vous offre (mais oui), LE NUMERO DE TELEPHONE DE L'ACTEUR : 01.43.17.33.00. Alors les filles, on dit merci qui ?

     

    * (excepté la marquise d'O)

  • La ballade de Narayama

     de Shoei Imamura – 1983.

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    Difficile de parler de ce film terrible. Dans le Japon du XVIIè, un village isolé au fond de la montagne survit. La vieille Orin est honteuse d’elle-même : à 69 ans, dans ce monde impitoyable, elle devrait être morte. Mais elle est en pleine santé, elle a toutes ses dents, et elle est une bouche à nourrir. Elle exige de son fils d’appliquer la tradition : l’emmener sur la montagne sacrée et l’abandonner là aux corbeaux. C’est la loi, elle entend bien que son fils ne se dérobera pas, contrairement à son mari, incapable de sacrifier sa propre mère de cette façon, et préférant fuir le village à jamais.

    Le premier personnage du film, c’est la nature. Elle est omniprésente, violente, dévorante, sans pitié pour les faibles. Elle dépasse les conceptions humaines, supporte avec indifférence l’existence des villageois, mais ne leur accorde rien. Toute nourriture doit lui être arrachée. Et les paysans crèvent de faim, l’hiver est une hantise permanente. On survit dans la peur du manque, il n’est pas rare de découvrir un cadavre de bébé au bord de la rivière, on enterre vivantes les familles de voleurs de nourriture, on sacrifie les vieux inutiles. A ce niveau de misère, que sont les valeurs morales ? On copule avec les bêtes quand le besoin est trop fort, on fait le deuil de sa petite amie le lendemain de sa mort atroce, on tue son père désobéissant. La vieille Orin casse ses dents sur une pierre pour ne pas paraître trop jeune, avançant ainsi sa propre mort. Pendant ce temps, les animaux meurent, se dévorent et s’accouplent, avec autant de conscience.

    Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ? La morale ? Ici, elle est inversée : il est juste de tuer les bouches inutiles. La faim est l’unique nécessité sociale. La morale s’est adaptée aux besoins barbares de la survie. Dans cette sauvagerie, cette débauche révulsive et désespérante, engluée dans une photographie anti-esthétique, le sacrifice consenti d’Orin, enfin, élève la condition humaine au-dessus du sordide. Le seul geste de tendresse est cette main du fils posée sur sa joue, furtivement. La seule belle image du film est celle de la vieille femme, assise parmi les corbeaux, au milieu d’un paysage couvert de neige. Un linceul immaculé, une rédemption pour les âmes humaines, affamées d’une tendresse que la vie leur refuse.

  • Le quai des brumes

    Carné-Prévert.

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     Il y a des classiques intouchables. Des films tellement tellement, que toute critique est paralysée d'avance. C'est pénible. "Le quai des brumes" (pourquoi "le" ? s'interrogeait encore, vieillissant, Carné), est représentatif de ce que l'on a pu qualifier, par amour des étiquettes, de réalisme poétique. Un des films français les plus connus à l'étranger.

    Des mêmes auteurs, j'avais adoré "les enfants du paradis" et "les portes de la nuit", plus récent, et moyennement apprécié "les visiteurs du soir". Mais jamais vu "le quai des brumes". Je l'ai donc découvert récemment, lors d'une soirée-conférence. Appris plein d'anecdotes sur le tournage (la brume qui donne la chiasse, par exemple, les baffes de Gabin à Brasseur, très réalistes parce que les deux avaient un petit contentieux, nommé Morgan, etc.), réfléchi grâce à Paul Jeunet sur la validité de ce concept abusif qu'est le "réalisme poétique". Bref. Sur la théorie, j'étais conquis, ravi, pressé de découvrir ce grand film. Et voilà : Tatain ! Ze film. Au bout de dix minutes. Tout compris, tout vu, de l'intrigue et de son dénouement. Les personnages épais comme des bons d'alimentation, les bons mots plein de bon sens franchouillard et de désespoir poétique comme on en pratique sous forme de gravures sur les tables décole. Le mélo ridicule, le scénario médiocre, médiocre, médiocre... Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? On sauve Michel Simon ? Qui fait ce qu'il peut dans un rôle de salaud taillé pour lui. Et Gabin râle des "chiennes de vie" en avançant la mâchoire. Désolé les fans, cinéphiles aveuglés d'amour, mais "Le quai des brumes", ça vaut pas tripette.

    Si j'ai le courage, je vous conterai ma passion pour "Quai des orfèvres", "la kermesse héroïque", "Le voleur de bicyclette", et d'autres, et d'autres... tellement plus originaux. Je me demande si Prévert n'est pas un peu beaucoup surestimé.

  • Une vérité qui dérange - Al Gore

    L'autre jour, notre maire a pris l'excellente initiative d'imposer à tous ses agents la vision du film "Une vérité qui dérange". Sans doute parce que, découvrant le phénomène lors de la fameuse séance à l'assemblée (il est aussi député), il s'est soudain senti un devoir (sincère, je crois), de montrer le film pour encourager les citoyens que nous sommes à changer d’attitude.

    Je ne veux pas exagérément ratiociner sur tout ce qui va dans le bon sens. Et le documentaire inspiré de conférences menées par Al Gore depuis quelques années à travers le monde a permis à bon nombre de gens dans la salle de prendre conscience de l'urgence (j'ai écrit à notre élu à ce sujet en lui proposant un certain nombre de questions concrètes sur ses choix en matière d'environnement).

    Une série d’illustrations spectaculaires et efficaces démontre la vérité et l’urgence de la réaction, car nous sommes vraiment montés dans une locomotive lancée plein pot contre la falaise. Et l’échéance est de l’ordre de la dizaine d’années. C’est un cri d’alarme terrifiant. Mais « l’ex-futur président » rassure tout le monde à la fin : il est possible d’enrayer le phénomène si tout le monde se montre raisonnable, comme on l’a fait pour la couche d’ozone.

    Scientifiquement, les problèmes se situent dans sa conclusion, très rapidement évoquée. Revenir à un taux d'avant 1970 est une bonne chose, mais loin d'être suffisante. Et dans son calcul, il fait entrer la technique de "capture de carbone" qui n'est encore que théorique et, selon le type choisi, peut se révéler très dangereuse. En fait, ce n'est pas une solution. La solution est dans le changement d'attitude de tous. Ce qui m'inquiète, et dont on va voir apparaître les données dans les années qui viennent, c'est ce que nous préparent les puissances occidentales pour le futur, scientifiques à l'appui : des solutions d'urgence totalement artificielles pour réduire le CO2. Enfouissement dans les fosses marines, grandes voiles synthétiques dans l’espace pour créer des taches solaires artificielles ( !)... des solutions potentiellement plus dangereuses que le problème. Mais qui permettront de faire croire aux consommateurs que nous sommes qu'on peut poursuivre allègrement le gaspillage des ressources et acheter, acheter, acheter tranquillement, puisque, au dessus de nous, les scientifiques veillent et ont trouvé la solution. D'autre part, il me semble impossible de convaincre les pays émergeant comme la Chine de ne pas faire les conneries que nous avons faites, nous. Il suffit de projeter le concept un peu plus loin pour dessiner la perspective de la première guerre d'intervention pour raisons écologiques : il n'est pas interdit de penser que les grandes puissances occidentales mettent au pas la Chine militairement, pour l'empêcher de nuire à l'environnement. On a encore des tas de trucs à tester avant de disparaître.

    Malheureusement, je crains qu'il ne soit trop tard. Oui, il faut faire les efforts demandés, on n'a pas le choix. Mais me reviennent toujours dans ces cas-là les images de l'île de Pâques, où des types, isolés sur leur petite planète au milieu du pacifique, ont poursuivi consciencieusement la désintégration de leur environnement jusqu'à ce que mort s'en suive. C'étaient des humains comme nous. Nous ne sommes pas plus subtils qu'eux.

  • Azur et Asmar

    medium_azur_et_asmar4.2.jpgPour Kirikou, Ocelot avait adapté un conte africain, mais pas seulement. La série de contes dont il s’était inspiré se révélait aussi manichéenne que la plus sommaire des productions hollywoodiennes. La sorcière était méchante et il fallait la combattre. Le réalisateur français ne se satisfaisait pas de cette explication et, par la grâce de son écriture, le vaillant petit Kirikou demandait POURQUOI la sorcière était méchante. Car chez Michel Ocelot le monde des contes n’est simple qu’en apparence, et les apparences recèlent un foisonnement de mystères.

    Avec Azur et Asmar, le réalisateur approfondit ce thème. Le film conte l’histoire de deux enfants, l’un d’occident, blond aux yeux bleus (Azur), et l’autre  d’orient, brun et sombre de peau (Asmar), bercés tous deux par les mêmes bras, ceux de Jenane, la mère d’Asmar, nourrice échouée dans un château de la France médiévale. Filant la métaphore pour dénoncer de façon transparente une certaine actualité, Ocelot évoque le sort d’Asmar et sa mère, chassés du pays où ils vivaient pour rejoindre un pays d’origine que l’enfant ne connaît pas.

    Les destins de Jenane, Azur et Asmar se croiseront à nouveau, bien sûr, pour une ultime quête, affrontée ensemble, dans un partage équitable entre les deux langues.

    Les divers extraits ou bandes annonces ont pu vous préparer à la beauté visuelle du film. Malgré tout, l’émerveillement est constant, les palais somptueux, les images étonnantes. L’utilisation de l’image de synthèse est créative véritablement et, sur un schéma classique de péripéties et d’aventure, les détours que prend l’histoire et la richesse des personnages réservent de continuelles surprises.

    La fin est surprenante.

    De l’oxygène, oui.

    Voir aussi la critique d'Hector, ici.