Étrange sensation au retour de cette session 2017 à Livre Paris. Tout s'est bien passé, j'ai retrouvé amis et professionnels avec grand plaisir, mais en deux jours, une observation déjà faite les années précédentes s'est confirmée et m'interroge. J'ai le privilège de signer successivement dans deux espaces littéraires très différents. Parmi les éditions de SF, de Fantasy, tout près de la BD et de l'illustration jeunesse d'une part, et au milieu des éditeurs de littérature « blanche » ou générale, d'autre part. Je fais un constat qui ne me réjouit ni m'attriste : l'impression d'empressement, de jubilation, de vie, de curiosité et d'enthousiasme autour des stands de littératures de l'imaginaire, et le défilé de lecteurs déjà convaincus, peu diserts, souriants mais distants, précis dans leurs choix, surtout visiblement plus fortunés, sur les stands des littératures plus « conventionnelles » ou plus « sérieuses » (Bon sang, tous ces mots pour cerner des phénomènes trop complexes pour être ainsi résumés ! mais vous voyez ce que je veux dire). Je ne parle pas des queues empressées qui patientent pour quêter un échange de cinq secondes avec une célébrité. Cela vaut partout et ne renseigne pas sur la distance dont je parle.
Classer l'une du coté « populaire » et l'autre du côté « élitiste » ou « bourgeois » me paraît tout aussi injuste et réducteur. C’est pourtant l'impression que j'en retire. J'ai été heureux les deux jours, à mes deux tables de signatures. J'ai côtoyé dans les deux cas des auteurs talentueux et charmants, j'ai discuté avec mes deux éditeurs et m'en trouve comme à chaque fois, rasséréné et motivé, j'ai retrouvé avec plaisir leur équipe, tous gens souriants, optimistes, amoureux de leur travail, aimant sincèrement le livre et se faisant une haute idée de ce que doit être la littérature. Mais il est impossible de ne pas s'interroger sur ce qui distingue ces deux mondes, séparés là de quelques mètres. Un univers élégant, au mobilier raffiné dans des espaces ouverts, personnel en tenue soignée, lecteurs silencieux, méthodiques, sérieux, des échanges où l'on fait assaut d'esprit et de bons mots (là, je laisse faire, je n'ai pas les moyens intellectuels pour m'adonner à cette pratique, mais j'écoute). Et l'autre monde : stands confinés par manque de moyens, nombreux auteurs au coude à coude, personnel habillé comme au quotidien, foule de passage rieuse, bruyante, costumée parfois, lecteurs volubiles, passionnés, excités de rencontrer un auteur (on peut donc être excité à l'idée de me rencontrer, moi ?), jeunes ou moins jeunes qui sacrifient leurs économies et empilent les livres sur les bras. Je repensais dans le train du retour, à cette réflexion de Tarentino sur les vrais cinéphiles. Il les voyait dans les cinémas de quartier aujourd'hui disparus, chez les consommateurs de films, cinq ou six séances bon marché par semaine, qui ne théorisaient pas mais savaient exactement quand on se fichait d'eux ou quand un réalisateur généreux tentait de leur apporter du plaisir. Je me demande si les vrais amateurs de littérature ne sont pas ces gens enthousiastes qui réclament des récits, des histoires, des mythes, et veulent d'abord qu'un auteur soit généreux avec eux, ne triche pas, se donne de la peine pour leur bonheur. Bien sûr, les choses ne sont pas si simples, et j'adore toutes les littératures exigeantes, mais j'ai été amené ce week-end, à distinguer un monde vivant, gourmand et curieux, avec un monde plus figé, un peu morne, riche de ses hauts-faits, légitimement fier de son apport, mais tourné vers lui-même et préoccupé du maintien de son image. Mon étonnement est dans le constat qu'ils sont rarement conciliables. J'aime pourtant ces deux aspects, ils me nourrissent pareillement et je refuse d'avoir à choisir. Je me sens comme un immigré qui ne sait plus à quelle culture il appartient, ne se sent légitime ni dans l'une ni dans l'autre et ne sait quel gage donner et à qui, quelles passerelles créer, pour s'affranchir de ses frontières intimes.