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choses vues - Page 40

  • Vidéo Club (1)

     Tandis que je choisis une vidéo, j’écoute la conversation entre un client et le commerçant.

    Le client : « Et… Die Hard 3, c’est bien ? »

    Le vendeur : « Ah oui oui, c’est très bien. »

    Le client : « Et Bad boy’s, c’est bien, ça ? »

    Le vendeur : « Oui, bien, bon film. »

    (Je souris, je me dis que de toute façon, le vendeur trouve forcément tous ses films excellents),

    mais le client poursuit son enquête : « Et Vercingétorix de Lambert là, c’est bien ? »

    Et le vendeur, dans un élan : « Ah non, non non. C’est nul. »

    Mon sourire s’élargit. Il y a donc une déontologie du vendeur de vidéo club. Mais il doit falloir faire fort, quand même, pour rebuter son sens critique.

  • M. Martin

    Il s’appelle disons, M. Martin. Il a 70 ans. Il est hébergé depuis des mois dans ce foyer pour personnes sans abris où je fais un peu de bénévolat.

    Il présente bien, est très poli, s’exprime avec élégance, ne fait pas le difficile sur la cuisine. On devine qu’il a eu une autre histoire avant d’atterrir ici. Et en effet. M. Martin fut un garagiste en vue, toujours au turbin, avenant et soigneux. Quand il n’était pas le nez dans le moteur, il roulait en Mercedes. Les affaires marchaient bien. Son divorce a d'abord sérieusement entamé le bas de laine. Ensuite, lui qui ne s’était jamais occupé de ses comptes, a découvert qu’il n’avait jamais cotisé une retraite convenable. Il avait une belle maison, mais impossible d’assumer le coût de l’entretien et du chauffage, alors le petit bonhomme a investi le garage attenant et a tenté d’y survivre jusqu'à ce que le froid l'expulse. A côté, la belle maison devient un squat. « M. Martin, pourquoi vous ne retournez pas dans votre maison ? » « Mais c’est qu’il y a dedans des gars qui ont des couteaux grands comme ça ! » (il illustre en écartant ses mains de trente centimètres). Que se passe-t-il, pourquoi ne vend-il pas cette maison, située dans un terrain convoité pour sa situation ? En tout cas, il est hébergé ici depuis longtemps, et on le voit prendre petit à petit la voussure d'échine qui est le stigmate des délaissés.

  • Distributeur de billets (1)

    J’entre dans le sas d’une banque pour retirer de l’argent. Sur la borne à côté, une vieille dame s’énerve : « Aaahh, ça marche jamais ces machins ! » Je me tourne vers elle. Elle me prend à témoin : «  Regardez, je fais pourtant bien comme ils disent : je tape mon code : 1 – 1 (elle tape d’un doigt énergique en répétant les chiffres avec force) 3 – 7 ! » Elle observe le résultat. Nouvelle exclamation de dépit. « Raah c’est pas vrai. Pourtant, c’est bien mon code, bon sang (elle recommence) Un – Un - Trois – Sept ! Aaahh » Bon, J’explique à la dame : « Vous ne devriez pas insister, le distributeur va avaler votre carte. Et puis, ce n’est pas prudent de donner votre numéro comme ça. N’importe qui peut écouter… » Elle me regarde, soudain soupçonneuse. Je viens de passer du côté des « n’importe qui ». Et je la vois retirer len-te-ment sa carte, la glisser dans son sac sans me quitter des yeux, et sortir du sas comme si j’allais lui sauter dessus. C’est drôle, je devrais hausser les épaules ou sourire, mais je me sens vexé. Oui. Et merde.

  • Tes vingt ans cabossés

    Elle s’appelle disons, Sandra. Elle n’a pas 20 ans. Elle revient voir, en starlette, l’équipe des permanents de ce foyer pour personnes sans abris où je fais un peu de bénévolat.

    Sandra a été pensionnaire dans le foyer pendant plusieurs mois, il y a quelque temps. Depuis, la structure qui s’occupe d’elle l’a lancée sur une énième piste de formation professionnelle. Elle loge dans un autre foyer, mais pour jeunes travailleurs, celui-là. Dans l’équipe de l’association personne ne se fait d’illusion : comme les autres formations, celle-ci (coiffeuse, cuisinière ou je ne sais quoi), va motiver la gamine pendant 3 semaines et puis basta. Sandra, comme d’hab’, va se lasser (se lever le matin, être propre, travailler, obéir…), va s’enticher d’un garçon, et se barrer avec. Pour mieux revenir dans le giron du foyer, cabossée et paumée. Chaque fois la même histoire.

    Sandra entre donc dans le foyer, fait la bise à tous les permanents, les éducateurs, les bénévoles… Elle se pense très sexy. Mais sa jeune beauté est déjà vulgaire, ses gestes sont sans grâce et son regard voudrait être hautain. En faisant la bise à un de ses éducateurs préférés, elle lui glisse un mot à l’oreille. Mais j’ai entendu. « Je suis enceinte ». L’éducateur fait : « Tu plaisantes ? » Et il me raconte, tandis que Sandra minaude au milieu des autres. « C’est la troisième fois cette année. J’arrive pas à suivre. » Je crois que mes sourcils forment un arc élevé au dessus de mes paupières. Il poursuit : « Elle se maque avec les plus cons, les grandes gueules, les violents. Elle couche, sans protection bien sûr, se fait tabasser… Et recommence. C’est à désespérer. »  Sandra revient vers nous, balance une vanne et s’éloigne. L’éducateur lui lance : « Et inutile de tortiller des fesses, ça sert  à rien. » Elle se retourne vers nous, je capte son regard au passage. Elle m’adresse un écoeurant sourire de séduction. J’ai la nausée. 20 ans. Je pense à ma propre fille. Ma petite à moi, elle est préservée, elle ne connaîtra jamais cette merde. Jamais. Impossible.