Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

choses vues - Page 37

  • Médecine parallèle

    Ma douce, inquiète de mes insomnies à répétition, s’est procurée une fois ce qu’elle a cru être vraiment un bon remède : un bloc de sel avec une lampe dedans. Elle a vite compris, devant ma sidération puis mes ricanements cruels, que l’objet était à remiser avec les prières à Dieu, les incantations aztèques et le sang de poulet. Cependant, l’objet n’est pas désagréable à regarder. Une fois allumé, il propage même une clarté apaisante. Il est donc resté dans la chambre. En attendant qu’il fasse effet, il me sert toujours pour trouver mon chemin quand je me lève, dans l’impatience de l’insomnie.

  • Faire salon

    Deux jeunes femmes, dans ce salon de thé, s'interrogent sur l'attitude à avoir pour prévenir -ou pas- certaine copine, que son mari la trompe -ou pas. Ça fait une heure que ça dure, et j'aimerais bien pouvoir bosser tranquille.

  • Folklore et réincarnation

    La première faille dans sa croyance en la réincarnation était apparue ce jour que, expliquant à un sceptique comment sa fille adoptive d'origine vietnamienne avait, à l'âge de six ans et sans la moindre préparation de la part de ses parents adoptifs, construit un autel aux ancêtres, le type lui avait rétorqué que sa fille adoptive à lui, d'origine alsacienne, s'était avérée au même âge, incapable de lui faire une bonne choucroute.

  • De peu

    Bien sûr, c'est égoïste. Je pourrais penser à l'émotion de cette dame à son volant, qui, roulant trop vite, m'a évité de justesse tandis que je traversais le passage pour piétons. Elle a sans doute subi un redoutable coup au coeur, puis un soulagement énorme et a probablement conduit avec prudence le reste de son trajet. N'empêche que je pense surtout que je l'ai échappé belle.

  • La raison du plus fort

    Cela faisait plus d'une heure que le gringalet contredisait le colosse accoudé au comptoir, avec un aplomb et une condescendance agaçants. Quand soudain, le géant se répandit en larmes en disant "Oui, j'ai tort, c'est vrai, tu as raison !", les clients du café eurent collectivement une sorte de soupir dans lequel on pouvait deviner un vague regret.

  • Un froid chez les cigognes

    Nous avons la chance d'avoir des couples de cigognes, dans un pré voisin. Elles apportent une touche de majesté à nos étés. L'an dernier, l'une d'entre elles a refusé de migrer. Elle est restée seule ici, et a attendu le retour de ses copines aux beaux jours. Sans doute a-t-elle réussi à convaincre du réchauffement climatique puisque, cette année, une autre cigogne a décidé de passer l'hiver ici. Nous avons récemment connu une vague de neige. Inquiets, nous observons à la jumelle, le couple dans son aire. Je fais peut-être de l'anthropomorphisme, mais je ne peux m'empêcher de lire, dans l'attitude de la cigogne couchée frileusement dans le nid, une mauvaise humeur patiente, et dans celle de la cigogne qui reste debout, bec baissé, épaules basses, une gêne malheureuse.

     

  • La ri rette

     

    Ma communion solennelle. Je suis en aube (photos détruites aujourd'hui), une petite croix en bois sur le torse, la famille fête le rituel autour d'un bon repas. On m'enjoint de pousser la chansonnette. Je n'en connais qu'une, malheureusement, dont j'ignore les sous-entendus. Je commence "Janeton prend sa faucille..." Il y a une ou deux voix de mon âge pour entonner le refrain "La rirette, lariré-éteu !", mais je sens bien qu'il y a comme un manque d'entrain du côté des séniors.

  • Coup de tête

    Au bureau, on trouvait bizarre l'attitude nouvelle du directeur à son retour de vacances. Son entrain, sa façon de rire tout le temps, d'offrir des promotions à ceux qu'il croisait dans le couloir, d'accepter sans discuter les requêtes syndicalistes, d'ouvrir une crèche, une bibliothèque, des séances de massage. Ce n'est que lorsqu'il décréta le partage de sa fortune personnelle entre les ouvriers, et l'abandon de la gestion de l'entreprise par une coopérative des mêmes, qu'on découvrit que sa femme l'avait trompée avec son plus gros actionnaire.

  • Du choix

    A la médiathèque, la perspective délicieuse d'écouter bientôt Joanna Newsom, rendue plus urgente par le passage en boucle dans cet établissement, des chansons de ce crowner dont j'ai oublié le nom et qui m'insupporte depuis l'enfance.

  • Qui ?

    Quand la prof a demandé à la classe de sixième « qui parmi vous n'aime pas la musique ? », que pouvais-je faire, moi qui adorais le classique, qui écoutais des heures entières les yeux fermés, Bach, Dvorak, Ravel, Stravinsky, tandis que mes petits camarades acclamaient Joe Dassin ? Comme tout gamin incapable de résister à une provocation facile, j'ai levé le doigt. C'était une amie de mon père, musicien. Un an d'enfer.

  • Dans la dignité

    Le très actif comité de défense de M. Choucart se fait plus discret depuis que le malade en phase terminale dont il défend le droit à mourir dans la dignité, a exigé, préalablement aux doses létales de morphine, d'aussi fortes doses de Viagra, de façon à ce qu'il puisse s'accoupler (dans l'ordre de la liste qu'il a soumise à son comité), avec : miss Monde 2006, une truie, un diplomate hongrois, une nonne, un syndicaliste et mademoiselle Demond-Picard, sa voisine de palier. La truie a officiellement refusé.

  • Trop

    La dame, jupe droite bleu marine, barrette dans les cheveux, cherche un livre, ne parvient pas à se décider.

    La libraire : "Tenez, il y a le lièvre de Patagonie, de Lanzmann"

    La dame : "Trop juif."

     

    A part ça, tout va bien. Je vous souhaite une bonne journée.

  • Quand deux écrivains...

    Cet écrivain me reconnaît.

    - Eh ! T’as vu ta chemise ?

     

    - Eh ! T’as lu ton livre ?

     

    (très inspiré de Chevillard, avec mes excuses)

     

  • Mais pas méchant

    M. : Par exemple, tu me diras pas, Picasso c'est pas beau, quoi.

    C. : Compliqué, le beau. Parlons de ce que tu connais, plutôt. Picasso disait toujours qu'à 14 ans, il savait peindre comme Raphaël, et qu'il a mis toute une vie de travail pour tenter de peindre comme un enfant...

    M. : et c'est qui, Raphaël ?

    C. : Ah. Tu ne connais pas ? Et bien, c'est l'un des plus grands peintres de la Renaissance, avec Léonard de Vinci ou Michel Ange.

    M. : Michel Ange, ça me dit quelque chose.

    C. : Bon. Je disais, pour Picasso, en fait, à 14 ans, il peignait vraiment comme Raphaël, c'était incroyable. Il faut voir ses premiers dessins, ses premiers tableaux, c'est éblouissant de maturité et de...

    M. : Et il est mort ?

    C. : Picasso ? Oui. Il est mort.

    M.: Et l'autre, Raphaël ?

    C. : Mais, tu as écouté ? C'est un peintre de la Renaissance. Bien sûr qu'il est mort.

    M. : ...

    C. : Quand on parle de la Renaissance... La Renaissance, c'était il y a plus de cinq cents ans, alors oui, il est mort, Raphaël.

    M.: J'y connais rien, moi. Mais en tout cas, y'a plus de vrais peintres.

  • Tous les miracles

    Il y a Tristan, qui vient d'arriver, sous le regard grave et éperdu d'amour de ses parents,

    Juste avant est parue Enya, fille d'une femme qui fut ma compagne et dont j'ai le bonheur d'avoir conservé l'amitié,

    Entre les deux il y a eu Kyara, fille de la fille d'une amie,

    Depuis, il y a eu probablement des milliers, peut-être des centaines de milliers d'enfants, peut-être des millions. La vie est une avalanche permanente. Cependant, autour de chacun, c'est l'éternel émerveillement, l'identique incrédulité, partagée depuis l'aube des temps. Et ce miracle est l'apanage des humains, seuls authentiques démiurges.

  • Mamy flingueuse

    La gamine –dix-sept ans, MP3, baladeur, chewing gum, paillettes et déhanché de Starac- se fait bousculer dans le car par une vieille dame et son bagage. La gamine ne rétorque pas mais fait une moue de mépris, la vieille s’agace « ces jeunes… », la fille prend la mouche et se met à rabrouer l’aïeule « Oh ça va la vieille si t’es pas heureuse… » Et là, là ! La vieille lui balance une bordée d’insultes terribles, de trouvailles façon Audiard, une logorrhée d’humiliations inédites, qui mettent K.O. la pauvre jeune fille, et tout l’auditoire, estomaqué. Après quoi, cette extraordinaire Carmen Cru descend tranquillement à l’arrêt. Un silence de mort règne dans l’autobus.

  • Les héritiers

    J’ai toujours stimulé chez mes enfants, le goût pour la curiosité philosophique, scientifique, l’intérêt pour les autres ; et leur ai vanté le mérite du bien, de la sobriété, de la dignité, la satisfaction de l’effort long et secret, la vacuité des possessions et la vanité des apparences. Et dire qu’il suffit d’un président de la république pour mettre à bas tout ce travail.

  • Ne te retourne pas

    On ne devrait pas se retourner sur son passé. On ne devrait pas, c’est connu. Je devrais le savoir, moi, lecteur sourcilleux de la Bible, qui sait l’exemple mythique de la femme de Lot, tournée vers ses regrets, la vie confortable qu’elle abandonne au feu divin, et qui soudain est changée en statue de sel. Je le savais.

    Quand nous étions enfants, nous passions une grande partie de nos vacances à la campagne, dans une ferme des environs. Un couple de paysans et leur unique garçon, de l’âge intermédiaire entre mon frère et moi, nous y accueillaient. Cela dura des années. Est-ce que je m’y ennuyais ? Sans doute, mais de l’ennui de l’enfance, peuplé de méditations et de rêves. Une époque propice à l’imaginaire, en fait. Je ne goûtais guère les jeux de notre nouvel ami et de mon frère, devenus inséparables, et le père de famille avait autre chose à faire. Restait à me réfugier auprès de la mère de famille, dans la cuisine, avec mes cahiers que je remplissais d’aventures puériles, à grands coups de stylos et de vraisemblance approximative. La dame était gentille avec moi, elle faisait de bons gâteaux. Les vacances passaient ainsi dans une solitude protégée et doucement moquée.

    Nous fûmes un jour trop grands, décidément, pour retourner à la ferme. Il se passa d’autres jeux, des voyages, il se passa une enfance, puis une vie de jeune adulte, il se passa peut-être trente-cinq ans. J’envisageais parfois d’appeler, de revenir sur ces lieux, de reprendre contact. Mais, au fond de moi, je savais bien qu’il ne faut pas, que les traces du passé sont dépouillées de magie, qu’elles sont inertes et muettes, sinon décevantes. Je vis un jour le père de famille, presque identique à celui que j’avais connu dans la montagne. Il était attablé dans une cafétéria, rouge et massif, souriant timidement. Il n’était plus paysan, il travaillait à l’usine, en ville. Je le saluai, nous n’échangeâmes pas plus de deux phrases. Aussi désarmés l’un que l’autre par ce surgissement incongru de temps révolus. Nous ne nous aimions pas beaucoup, l’un et l’autre. J’appris sa mort plus tard.

    J’attendis d’avoir 49 ans, pas moins, pour téléphoner à Madame D. J’en formais le projet depuis des semaines, en parlais à ma douce de temps à autre. Un jour, je me décidai. Sa voix, identique, pas étonnée : « Christian ? Il faudra venir un de ces dimanches…  M. sera là » M. est le fils unique, resté célibataire, vivant avec elle. La date fut convenue. Je raccrochai, regrettant déjà mon geste, comprenant pourquoi je ne l’avais pas accompli depuis tout ce temps : c’est que j’en savais la nocivité.

    Nous voici, ma douce et moi, installés devant une tasse de café et une part de tarte. Contrairement à l’usage, je n’ai rien apporté. J’aurais pu, mais ce manquement signifiait que l’on ne resterait pas, que je n’étais que de passage, et que, probablement, je ne reviendrais jamais. Je demande ce qu’ils font l’un et l’autre, les fait parler un peu du jour d’aujourd’hui, du temps qu’y est plus comme il était. Les questions et les réponses s’enchaînent, superficielles. Madame D. demande ce que je fais, ce que ma compagne fait, nous le lui disons, elle résume : « chacun fait comme il peut. » et quand je parle du travail actuel de mon frère (un mandat d’élu), que je vois avant tout comme une façon d’œuvrer pour les autres, madame D. avance sa main au dessus de la table, fait un geste sordide en frottant de son pouce l’index et le majeur, et souligne d’un sourire entendu « ça rapporte, ça ». Au bord de la nausée, je subis encore deux ou trois assertions sur les gitans et les étrangers qui sont trop nombreux, et puis nous partons, retrouver le présent qui s’est bien débrouillé sans nous.

    Dans la voiture, ma douce me demande si je suis déçu. Je lui dis que non. Un temps de silence et j’ajoute : « Je savais. »

  • Ivre de colère

    Depuis quelques mois, j'habite à une vingtaine de kilomètres de mon travail, j'ai donc opté -cohérence morale oblige- pour les transports en commun. Chaque matin, je me rends à pieds vers mon arrêt de bus, je m'installe confortablement parmi les gamins qui vont à l'école, stupéfaits et silencieux, et je bouquine ainsi une petite demi-heure jusqu'au terminus.

    La société, toujours très protectrice, a décidé d'empêcher le chauffeur, suspect comme tous les chauffeurs de bus d'être secrètement alcoolique, de conduire en état d'ébriété. C'est fort bien. Il doit donc, chaque jour de travail, souffler dans un appareil qui détecte un taux d'alcoolémie trop important et bloque alors le démarrage du bus. Trop d'alcool : plus de car. Nous voici rassurés.

    Un jour de cet été, le chauffeur est arrivé très en retard (c'était le bus du soir, celui qui me ramène dans mes pénates), il était furieux. C'est qu'il avait laissé, pendant la pause, l'alcootest derrière la vitre du bus. Le soleil a chauffé, chauffé, et a bousillé le subtil mécanisme. Le pauvre employé a eu beau souffler, souffler, déclarer main sur le coeur à la machine butée qu'il n'avait rien consommé, qu'il était réputé comme un modèle de sobriété, rien n'y a fait, le bus est resté imperturbablement aux ordres du petit bidule de plastique noir, qui ne voulait rien savoir. Il a fallu en appeler au "central", une équipe de techniciens est venu résoudre le souci, radicalement.

    Depuis, je crois que le truc est carrément débranché. Le chauffeur roule en sifflotant, et nous, derrière, nous vivons dans la peur.

  • Méchant

    L'autre jour, je me moquais de Maxence Fermine, enfin surtout de sa prose, lourde à force d'effets visant la légèreté la plus démonstrative. Or, je découvre que Neige, le livre qui m'a justement inspiré cet agacement, fut sélectionné en son temps (1999) pour le prix lettres-frontière. Me voici donc, moi, moqueur condescendant, ramené à la réalité et à la modestie. Il faut bien croire que "Neige" est riche de certaines qualités, que sa musique ronronnante est autre chose qu'une mièvre berceuse. Il faut bien croire. Ou sinon, que vaut ma propre sélection ?

    Dans quelques jours, quand je serai installé dans mon nouveau chez-moi, je tenterai de prendre un peu de temps pour acheter et lire "Il y a des abeilles" de Christian Degoutte, dans sa nouvelle édition bilingue français et allemand. Voilà de la littérature, de la vraie. Disponible par le net (sinon, où voudriez-vous trouver telle rareté ?) : http://precarreditions.hautetfort.com