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choses vues - Page 38

  • Ivre de colère

    Depuis quelques mois, j'habite à une vingtaine de kilomètres de mon travail, j'ai donc opté -cohérence morale oblige- pour les transports en commun. Chaque matin, je me rends à pieds vers mon arrêt de bus, je m'installe confortablement parmi les gamins qui vont à l'école, stupéfaits et silencieux, et je bouquine ainsi une petite demi-heure jusqu'au terminus.

    La société, toujours très protectrice, a décidé d'empêcher le chauffeur, suspect comme tous les chauffeurs de bus d'être secrètement alcoolique, de conduire en état d'ébriété. C'est fort bien. Il doit donc, chaque jour de travail, souffler dans un appareil qui détecte un taux d'alcoolémie trop important et bloque alors le démarrage du bus. Trop d'alcool : plus de car. Nous voici rassurés.

    Un jour de cet été, le chauffeur est arrivé très en retard (c'était le bus du soir, celui qui me ramène dans mes pénates), il était furieux. C'est qu'il avait laissé, pendant la pause, l'alcootest derrière la vitre du bus. Le soleil a chauffé, chauffé, et a bousillé le subtil mécanisme. Le pauvre employé a eu beau souffler, souffler, déclarer main sur le coeur à la machine butée qu'il n'avait rien consommé, qu'il était réputé comme un modèle de sobriété, rien n'y a fait, le bus est resté imperturbablement aux ordres du petit bidule de plastique noir, qui ne voulait rien savoir. Il a fallu en appeler au "central", une équipe de techniciens est venu résoudre le souci, radicalement.

    Depuis, je crois que le truc est carrément débranché. Le chauffeur roule en sifflotant, et nous, derrière, nous vivons dans la peur.

  • Méchant

    L'autre jour, je me moquais de Maxence Fermine, enfin surtout de sa prose, lourde à force d'effets visant la légèreté la plus démonstrative. Or, je découvre que Neige, le livre qui m'a justement inspiré cet agacement, fut sélectionné en son temps (1999) pour le prix lettres-frontière. Me voici donc, moi, moqueur condescendant, ramené à la réalité et à la modestie. Il faut bien croire que "Neige" est riche de certaines qualités, que sa musique ronronnante est autre chose qu'une mièvre berceuse. Il faut bien croire. Ou sinon, que vaut ma propre sélection ?

    Dans quelques jours, quand je serai installé dans mon nouveau chez-moi, je tenterai de prendre un peu de temps pour acheter et lire "Il y a des abeilles" de Christian Degoutte, dans sa nouvelle édition bilingue français et allemand. Voilà de la littérature, de la vraie. Disponible par le net (sinon, où voudriez-vous trouver telle rareté ?) : http://precarreditions.hautetfort.com

  • La croix en bannière

    Arborer le petit autocollant de la croix-rouge, quand on a donné, je dois dire que ça m’agace un peu. Le conserver comme une médaille pendant plus d’une semaine, je dois dire que ça reste pour moi, d’une indécence telle, qu’elle me laisse coi.

  • Exercices de style

    J’ai découvert récemment (mais on m’a forcé, monsieur le juge), l’écriture de Maxence Fermine. C’est à fourguer avec Christian Bobin et Paolo Coehlo, et à jeter à la fosse. Ces auteurs roublards qui entretiennent leur lectorat (malheureusement essentiellement féminin), dans l’illusion que la poésie est une forme lénifiante, molle, esthétisante, ponctuée de « vérités » et de pensées faussement profondes, m’agacent à un point. C’est surtout insupportablement bête. Tiens, je vous en fais une ? Une phrase à la Bobin : « Elle séjournait près des vivants, la pensée toujours à fleur de lumière, comme une onde qui passe, et ses mains avaient la douceur de l’aube ». Une minute chrono, pas compliqué. Voilà. Du Fermine ? Allez : « Yushô quittait la maison familiale au matin. Le père le reverrait le soir. « Où vas-tu, mon fils ? » lui disait-il, « tu sais bien », répondait Yushô avec un sourire, « le vent m’appelle, et je dois lui répondre. » Ainsi, chaque jour, le jeune peintre marchait jusqu’au sommet de la colline, pour répondre à la question du vent. Là, ses lèvres échappaient des mots de la couleur de l’automne, des phrases mélodieuses comme un chant de Geisha. Et le vent, apaisé, souriait. » Obligé de faire plus d’une phrase, Maxence, est verbeux, il lui faut vingt pages pour ne pas dire ce qu’il a à dire (je suppose qu’il cherche en même temps). Et le mec est capable de vous pondre toute un livre comme ça, de cette sorte de litanie dénervée, qui se veut philosophique. M’agace, m’agace…

    Par contre, parmi mes récentes lectures, il y avait le dernier Michon « les Onze ». Et dire qu’il n’est toujours pas dans le Robert des noms propres.

  • Blondes à bord

    Pourquoi est-ce que les 4X4 les plus monstrueux, épais et lourds comme des tanks, sont toujours conduits pas des petites minettes blondes, musclées comme des crevettes ?

  • Fleur bleue

    Dans le train. Deux amoureux cinquantenaires s'échangent de silencieux serments d'amour à travers la vitre. Elle est assise face à moi ; il est sur le quai de la gare. Quand leurs gestes ne disent plus rien, ils se regardent souriants ou pensifs. Leur bonheur irradie à cent mètres autour d'eux.

    Je suis toujours très touché par le spectacle des gens amoureux. C'est une démonstration qui met immédiatement à bas toutes mes préventions cyniques. C'est ainsi, je suis très "fleur bleue" en réalité. J'ai toujours envie de croire que les humains sont d'abord des produits et des pourvoyeurs de l'amour. Au passage, je m'arrête sur cet emploi fréquent chez moi, du terme "humains" et de ses synonymes : humanité, espèce... C'est que je parle souvent en visiteur, en spectateur du monde, comme si j'en étais détaché.

  • Sombre

    Pourquoi est-ce que les gens s'habillent en couleurs sombres, l'hiver ?

  • Croisement

    Chaque matin, sur le chemin du travail, je croise cette dame, un peu ronde, cheveux courts souvent teintés de cuivre. Je quitte ma lecture et nous nous sourions sur un clair « bonjour ». Nous ne nous connaissons absolument pas, je ne sais pas où elle travaille et elle ne doit pas en savoir davantage sur moi. Depuis deux ans que j’effectue ce trajet quotidien, nous nous saluons ainsi, à peu près au même endroit. Est-elle persuadée comme moi que tout contact plus approfondi rendrait cet instant moins savoureux ?

  • Miracle à Noël

    Chaque année, à l’approche de Noël, le même miracle se reproduit. Dans la nuit, les nains de jardin se mettent à grandir, le rouge de leur bonnet déteint sur leur vêtement et ils quittent leur pelouse gelée pour grimper aux fenêtres et aux balcons où le matin les surprend et les fige. Je suis toujours très ému quand j’assiste au spectacle de ce prodige.

  • La visiteuse du soir

    Nous étions couchés, quand la sonnette a été déclenchée. Il était minuit peut-être. A l’époque, ma compagne et moi redoutions les surprises désagréables que mon ex-femme pouvait encore nous réserver. Nous avons pensé à elle. Mais mon fils, plongé alors dans une partie de je ne sais quel jeu vidéo, est venu frapper à la porte de la chambre : « Papa, il y a une dame à la porte. » Une dame. Il aurait dit « maman ». Je vais voir. Sur le seuil, à la frontière de la nuit et de la lumière du couloir, je reconnais une des clochardes qui errent dans le quartier. « Je me suis cassé la cheville. Faut m’emmener à l’hôpital ». « Casser la cheville ? Vous êtes sûre ? Vous n’auriez pas pu marcher longtemps » « J’ai trop mal, j’ai trop mal ». Je la fais asseoir et lui propose d’enlever ses chaussures pour vérifier. La cheville est légèrement enflée en effet. « Bon, je vous emmène ». Je retourne voir ma chérie et lui explique en m’habillant que, soupir, je vais emmener la dame à l’hôpital. Aux urgences, quand je me pointe, soutenant la marche douloureuse de ma blessée, le service est calme. J’avise une infirmière, j’explique, elle regarde de loin la femme assise qui patiente, visage grimaçant. « Ah ouais d’accord », dit-elle. « Vous la connaissez ? » L’infirmière se contente d’opiner, les grandes douleurs sont muettes. Je répète en résumant : « Elle a la cheville vraiment enflée ». « Oui, oui. Je sais. Chaque jour, c’est un nouveau truc. On a l’habitude. »  Je repars vitres ouvertes et retourne me coucher. Je m’endors tardivement, pas vraiment certain de ce que je viens de vivre. Le lendemain, je revois notre visiteuse assise à une terrasse de café, un plâtre jusqu’au genou. Je lui demande comment ça va. Son regard paumé me fixe, mais se perd. Elle ne me reconnaît pas. Je m’éloigne. Les bonnes actions sont gratuites, me répété-je.

  • Aumône

    « Vous êtes en voiture, monsieur ? »

    Il est petit, tassé par la vie, barbu blanc, édenté, ridé et vieux comme une souche patinée, centenaire comme sont les clochards après 10 ans passés dehors. D’habitude, il pue abominablement, mais ce soir, c’est supportable. Je lui dis oui, je suis en voiture, il me demande si je peux le ramener chez lui. Il habite dans mon quartier. Ma douce n’est pas encore sortie, mais je sais qu’elle sera d’accord. Et vos affaires ? La barbe blanc gris jaune écrabouille une vingtaine de mots en cinq secondes pour me désigner l’endroit où est son carton, derrière un mur. Je vais le chercher. « C’est trop lourd » il me dit, avec un air désolé de qui n’a plus la force. Je soulève le carton. J’éclate de rire : « Mais qu’est-ce que vous avez mis dedans ? Ca pèse une tonne ! », à croire que mon vieux clodo fourre des haltères au fond du carton. L’emballage est couvert d’une sorte de blouson. Je réalise dans une respiration, que l’odeur terrible qui suffoque habituellement, quand il arrive qu’on le croise, vient notamment de ce blouson que, pour maintenir le carton, j’ai élevé juste au niveau de mon menton. En apnée, je reviens vers la voiture, accompagné par le vieux. Ma douce est là, elle comprend de suite la situation et, comme j’en étais sûr, sourit de bon cœur. Nous l’accompagnons donc, vitres ouvertes sur l’air de la nuit, que nous aspirons à goulées avides tandis que, sur la banquette arrière, notre hôte débite une logorrhée névrotique, obsessionnelle, incompréhensible. Quelques minutes plus tard, nous voici à bon port. Je reprends le carton tandis que le vieux descend. Il voudrait nous inviter à manger. Nous déclinons l’offre. Il veut me payer pour le déplacement. Je proteste. Il insiste, met la main à la poche et déclare soudain : « Je vais vous donner un secret. Attention, c’est de la valeur. » « Non, non, pas question, surtout si ça a de la valeur, gardez votre… » et là, il me fourre une pièce dans la main. Je regarde, déjà confus de ma faiblesse. C’est une pièce étrange, dorée, assez large. Dans la pénombre, je comprends qu’il ne s’agit pas d’une pièce courante. «Reprenez ça », il ne veut pas, est déjà cinq mètres plus loin « C’est de la valeur, c’est de la valeur », il répète. Il revient à son idée première : « Faudra que je vous invite, pour vous remercier », et puis il pousse son carton dans l’ouverture de la porte cochère où il demeure, et disparaît.

    Dans la voiture, puis à la maison, nous regardons son cadeau. Une pièce que je ne peux que supposer chinoise. D’où vient-elle, comment lui est-elle parvenue ? J’imagine que pour lui, c’est effectivement une sorte de trésor. La prochaine fois, à condition qu’il soit assez « clair » pour ça, il faut absolument que je le lui demande.

  • Pompes et circonstances

    Bush aura été un pourvoyeur de grotesque et de farce jusqu’à la dernière minute. Accablant de bêtise et d’obstination dans la contre-performance pendant ses deux présidences, il vient de subir son premier attentat personnel, à quelques semaines de sa fin de mandat. Un journaliste irakien, immédiatement considéré comme un héros dans le monde arabe (et un peu ici aussi, chez moi), lui a balancé ses chaussures en le maudissant pour les milliers d’irakiens, victimes de sa politique. Inoffensif et burlesque, le geste a plus d’impact que n’importe quel plasticage meurtrier. Voir Bush s’écarter, l’air ahuri, pour éviter une chaussure, je dois dire que c’est du comique le plus réconfortant, comme écrivait Courteline.

    Et je suis encore plus émerveillé, quand j’imagine que, désormais, les conférences de presse à la Maison Blanche, vont devoir se faire en chaussettes, en attendant la prochaine agression, à grands coups de soutien-gorge. Quelle belle fin d’année !

  • Après l'éclipse

    Le jour de l’éclipse, j’étais face à la mer.

    Le vent frais s’était levé, l’air avait brusquement changé de timbre. La terre a basculé dans l’or, l’ambre et le brun. Puis dans la nuit. Une main divine a jeté des étoiles dans le ciel éteint.

    Fasciné, j’étais ailleurs, j’étais autrement, j’étais autre. Au bout de mes doigts, mes enfants, ma femme ; plus loin, des touristes, des inconnus, tous soulevés par la même énergie inédite. Une harmonie incompréhensible nous unissait, tous humains enveloppés d’une nuit extraterrestre.

    Aussitôt, chancelant encore, je m’interrogeai. Il m’avait semblé retrouver dans l’émotion qui m’avait emporté une minute auparavant, une sensation connue. Je cherchai. Quand avais-je ressenti pareil éblouissement, pareil abandon de la raison à une émotion qui me submergeait ? Il me fallut longtemps pour trouver, je crois, et ce ne fut pas ce jour-là en tout cas. L’éclipse était achevée, la fête finie, les touristes et notre famille rejoignaient à regret les voitures. La lune s’était séparée du soleil, la terre avait recouvré ses couleurs.

    Pendant le trajet qui nous ramenait au camping, pendant le temps de l'endormissement ce soir-là, pendant les jours qui suivirent, je remuai le souvenir de cette sensation extraordinaire, mais que j'étais convaincu d'avoir éprouvé déjà. Cela ressemblait à l'émotion ressentie devant la beauté d'un paysage, mais d'une manière plus élevée, c'est-à-dire moins première (pas la sensation de petitesse face à l'infini, par exemple). Cela avait à voir avec le dépassement, la sensation d'assister à un spectacle mystique, plus élevé que la compréhension humaine. Et soudain, cela me revint.

    C'était au Louvre, que je visitai dix ans plus tôt, sans parcours établi. Au détour d'un couloir, la cloison d'une salle s'escamota et je me plantai devant un nouveau tableau. Il s'agissait du Saint-Jean Baptiste de Leonardo da Vinci. Les larmes aux yeux, le souffle coupé, je tentai de comprendre ce que mon corps et mon âme tentaient d'organiser, sous le choc, et sans ma volonté. Voilà : c'était cela, cette sensation. Cette impression d'être confronté à une oeuvre surhumaine, de jouir d'une beauté qui dépasse la pensée commune, de contempler un objet pourvu des forces incontrôlables et indifférentes de la nature. Le même élan, le même soulèvement de l'esprit, la même sidération face à la beauté indépassable. Une expérience de Dieu sans Dieu. La révélation que de l'homme, naît ce qui peut l'élever hors de lui-même. Ce que les philosophes, je l'ai appris depuis, nomment le sublime.

  • Dans les dents

    Dans ma petite ville, ça bouge. Le spectacle est au coin de la rue, partout. Il suffit d'aller au restaurant à midi, par exemple, comme hier, non loin de mon lieu de travail.

    On s'installe, le menu a l'air tout à fait correct. Un couple de vieux est assis à la table voisine. Je vais aux toilettes, je reviens. On discute. Soudain, la patronne sort de sa cuisine et s'adresse au monsieur du couple. Un vieil homme assez élégant, apparemment en pleine possession de ses facultés physiques et intellectuelles.

    La patronne : "Monsieur, je peux vous assurer que ma viande, c'est du charolais, achetée chez un très bon boucher, et que je fais attention. C'est de la meilleure qualité"

    Le client: "Elle était nerveuse, votre viande."

    (Mon copain m'explique que, pendant que j'étais aux toilettes, le vieux a fait retourner le plat en disant que c'était du surgelé industriel et que c'était mal cuisiné)

    La patronne : "Monsieur, c'était de la meilleure qualité, j'y tiens." (le ton monte, la patronne est offusquée, indignée par cette attaque)

    Le client: "Vous ne savez pas cuisiner, et puis c'est tout. C'était du surgelé." (voix plus forte, tout le monde se retourne)

    La patronne (bras tendu): "Sortez monsieur !"

    Le client: "Attention, hein, m'énervez pas. Vous êtes nulle, vous ne savez pas cuisiner. C'était dégueulasse !"

    La patronne: "Monsieur, quand on n'a pas de dents, on ne prend pas d'entrecôte !"

    Le client se lève, va pour empoigner la cuisinière. Le patron (un type plutôt jeune, silencieux), tente de s'interposer. Les belligérants se toisent. Elle: "Sortez !" Lui : "je vais vous en coller une, moi!" Elle : "Vous voulez me frapper? Ah ben c'est la meilleure !"

    Tout le monde est consterné, sauf moi, j'admets que je me bidonne comme au cirque. La patronne répète plusieurs fois "sortez" jusqu'à ce que l'ordre soit suivi d'effet. l'échange est assez violent. La petite dame ne dit rien, elle, d'ailleurs la patronne la plaint de vivre avec "un mari aussi con". La petite troupe, tout en s'agitant beaucoup, se trouve vers la porte, le couple est mis dehors (là, ça se bouscule un peu. Je crois que le patron a carrément poussé le type sur le trottoir). J'entends quelque chose qui ressemble à une calotte. La patronne : "Je connais le truc, c'est pour pas payer!" Le vieux : "J'ai de l'argent, je peux payer!" Elle referme la porte, on l'entend encore gueuler dehors : "J'ai de l'argent, je peux payer!"  Et il disparaît.

    La patronne vient s'excuser pour ce spectacle lamentable. Je me marre comme un bienheureux. Le patron approche pour s'excuser lui aussi et apporter la commande. Soudain, un bruit énorme. Le patron se précipite. Dehors, le vieux est en train de piquer une rage monumentale et vide la terrasse de ses chaises et de ses tables. Il balance les chaises contre la baie vitrée du restaurant.

     Là, on ne voit pas, mais sûrement, le patron et le vieux décidément en pleine forme, s'affrontent grotesquement l'un évitant les chaises que l'autre lui balance à la tête. La patronne appelle les flics.

    Je fais court : les flics arrivent (le commissariat est tout proche), la patronne demande si des clients peuvent témoigner de ce qui s'est passé. Le flic demande des gens du coin : il faudra venir le lendemain pour déposer au commissariat. Une table d'habituées se porte volontaire.

    Quand le patron est venu nous demander si le repas était bon, mon copain et moi avons eu un geste théâtral de recul et affirmé : "Très très bien." Quand nous sommes sortis, le pauvre était pâle et bouleversé.

    Je me demande tout de même si la patronne n'a pas été un peu vive, dans ses réactions. Mais je suppose que d'être attaqué sur ce qu'on met tant de coeur à faire, notamment la cuisine, est humiliant au-delà du raisonnable.

  • Vol obligatoire

    Avant-hier, je me rends au commissariat de ma petite ville pour déclarer (déplorer peut-être aussi) la perte du portable de mon fils , acheté à mon nom. Mais :

    - Désolé monsieur, nous ne faisons pas de déclaration de perte, mais seulement de vol.

    - Mais l'opérateur me demande un papier officiel pour éventuellement ne pas me facturer les communications qui auraient été passées avec

    -Dans ce cas, il faut faire une déclaration de vol

    - Je comprends maintenant comment les statistiques de la délinquance sont artificiellement gonflées dans ce pays. En fait, je suis obligé de faire une déclaration de vol.

    - Vous m'avez dit  que c'était une perte, ce serait une fausse délcaration

    - D'accord, mais si le portable perdu est récupéré par quelqu'un qui l'utilise, c'est bien un vol ?

    - Oui. Dans ce cas, il faudra venir avec un justificatif de facture et porter plainte

    - Bon, mais qui vous dit que je ne cherche pas par là à faire passer des communications que j'ai moi-même passées

    - Là, une enquête le déterminera

    - Parce que vous feriez une enquête pour 15 euros de télécommunications douteuses ?

    - ...

    - Excusez-moi, je ne suis pas là pour vous embêter, mais je voulais mener la logique jusqu'au bout. Vous voyez bien qu'on est dans un système kafkaïen, tout de même, non ?

    - Désolé, mais nous ne faisons que des déclarations de vol

    - Je vous remercie. Vous m'avez écrit la prochaine chronique de mon blog

    - A votre service

     

    Tout ce dialogue est rigoureusement exact, y compris les deux derniers échanges.

     

     

  • Petits agacements - 2

    Du 16 janvier, toujours, sur le carnet que ma douce m'a offert si judicieusement en début de cette année, cet autre agacement : le logo du medef. Enfin, un constat plutôt.

    Pour mémoire (je sais, je devrais le scanner pour le placer là, mais tout brancher, attendre le réveil des périphériques, tout ça... ça m'agace) : Trois profils tournés vers la droite (vers l'avenir, quoi, soyez pas bêtes), mentons relevés fièrement, alignés comme des héros staliniens du travail (les mêmes codes rejoués incessamment pour vanter les mêmes désirs d'abnégation... des autres) et surtout, surtout, des étoiles à la place des yeux !

    Le Medef ne voit pas le monde normalement, il le voit de façon déformée. les scintillements que le regard de ses figures projette les aveugle sur ce qui les entoure. Très explicite, ce logo, finalement. Très adapté.

  • Petits agacements

    Nous avons tous, au hasard de nos déambulations, des occasions d'agacements. J'en trouve personnellement presque quotidiennement. Tous ne sont pas forcément dicibles (il y a des agacements minuscules, comme l'autre parlait des plaisirs), et ne méritent pas de chronique, et puis certains sont trop énormes pour être appelés seulement des agacements. (le matin, j'écris très mal, pardonnez-moi).

    Parmi les agacements moyens, je retrouve celui-ci, repêché dans les pages de mon carnet de moleskine*, datant du 16 janvier de cette année :

    Dans le hall du magasin XXX, le plagiat imbécile de la phrase de Saint-Exupéry (qui l'aurait recueilli auprès d'Amérindiens) : "On n'hérite pas la terre de nos ancêtres, on l'emprunte à nos enfants", en "On n'hérite pas la culture de nos ancêtres... etc."

    Est-ce qu'ils se sont rendus compte, ces fieffés commerciaux abrutis que ce détournement ne signifie absolument rien ?

    Demain, un autre agacement, noté le même jour (le 16 janvier 2008, va savoir pourquoi, des tas de choses m'agaçaient).

    *Tiens : Moleskine, vous savez d'où ça vient ? Mole Skin, peau de taupe.

  • Interlude

    La société, telle que je peux l’analyser, paraît avoir basculé dans la brutalité. Je perçois pourtant des signes d’amollissement, trouvés au hasard du quotidien. Amollissement et brutalité ne sont pas incompatibles, me dis-je. Par exemple, je me brosse les dents avec une brosse dure. De plus en plus souvent, il devient difficile dans un supermarché de trouver ce genre de produit. Les rayons proposent en nombre des brosses « souples » ou « médium », à la limite trouve-t-on des éléments durs dans des ensembles médiums, mais plus de brosses foncièrement, totalement, fièrement « dures ».

    J’eus l’autre jour, devant mon incapacité à trouver un truc dur à me mettre sous la dent, une réaction primaire qu’on pourrait résumer par « Société de mous du genoux, débandade, détumescence, amollissement général, peuples atones, abrutis et confinés dans le vague et le moyen ! », puis je me suis avisé que, sous beaucoup d’aspect, la société est atrocement dure. La mollesse des brosses, la douceur rose de tous les produits destinés au corps en général, me paraît, en fin de compte, une tentative d’adoucir un quotidien autrement violent.

  • Ma banquière aime les enfants

    Interlude. Parlons d'autre chose, aujourd'hui, si vous le voulez bien. L'actualité boursière me rappelle une entrevue avec la dame qui, un temps, s'est occupé de mon compte. A cette époque, il se trouve que j'eus subitement un peu d'argent de côté, et que je m'interrogeais sur une façon morale de le faire fructifier. Le mettre de côté, comme dit un ami, pour en avoir devant soi, ce qui est un joli paradoxe.

    Et voilà ma banquière, toute gestuelle parfumée en action, qui sort la panoplie de ses meilleurs produits, ceux qui "rapportent un max", quoi. Des actions en veux-tu en voilà, de la spéculation dont on a pas à se soucier, puisque confiée à des professionnels, qui se salissent les mains pour vous. Des rendements mirifiques. Et je refuse. Etonnement, que dis-je, pétrification de ma conseillère : "Il faut penser à vos enfants, faire fructifier cet argent pour eux." Holà. J'explique à la dame, bouleversée par un tel manque de discernement : "Ce que vous me proposez, c'est d'entrer dans cette spirale de rentabilité absurde, qui fait de la liquidation d'une entreprise qui marche bien, une opération plus rentable que de recueillir les fruits de sa production, aussi modeste soit-elle. Vous me demandez de participer au jeu dangereux de conseils d'administration avides, jamais satisfaits d'un rendement normal, mais à l'affût de pourcentages indécents. Vous me demandez d'apporter mon soutien à un mode économique qui a réduit cette agence de la moitié de son personnel. Oui, madame, je pense à mes enfants. Et c'est pour cela que je ne veux pas de ce genre de produits." On a donc tout mis sur un PEL, je crois. En attendant de trouver une banque solidaire pas trop loin de chez moi.

    Les placements mirifiques de ma brave banquière, aujourd'hui, doivent ressembler à des carnes faméliques. J'aimerai bien la croiser pour lui demander, cruellement, comment vont ses enfants.

  • Les choses sérieuses

    Une vente aux enchères. La première de ma vie. Un public d'habitués, la commissaire-priseur connaît tout le monde, l'ambiance est sympathique. La vente commence. On vend des livres par cartons entiers. Je suis là pour ça, au terme de circonstances pas très gaies mais que vous me pardonnerez de ne pas expliquer davantage. Les cartons de beaux livres montent à 200, 400 euros. Etonnement des p'tits gars derrière moi, pour qui le livre est un objet bizarre, sans valeur. Qu'ils se rassurent, on arrive aux bouquins d'occasion, et là des séries de un, deux, puis trois gros cartons pleins se négocient à 3 ou 5 euros. Même pas le prix du papier. Enfin, le calvaire s'achève et le préposé aux cartons s'empare du premier objet de la suite de la vente aux enchères : un vieil escabeau. J'entends une voix, derrière, soulagée : "Ah, on passe aux choses sérieuses !" En effet.