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Que d'émotions

Daniel Damart est un jeune homme de 51 ans. Pour qui l'ignorait, Laurent et ses complices se chargent de le faire savoir, cadeau d'anniversaire à l'appui. Et voici le quatuor lancé dans un interprétation métaphysique de Poussin Piou. Œuvre symbolique du XXIe siècle naissant, anti-romantique et post-humaniste, martelant son phrasé régressif dans les oreilles des oisifs en sueur sur les pistes de danse de la perdition. Laurent prononce l'antienne avec une neutralité grand style et les musiciens tentent d'élever leur art à la hauteur de la virtuosité de cette pièce magistrale, écrite pour la postérité. Nos enfants ont bien de la chance, qui hériteront d'un tel manifeste. Après les applaudissements de circonstance, il est temps de revenir à des choses moins graves, moins solennelles, plus distrayantes bien sûr, mais on n'est pas en vie pour se prendre inconsidérément la tête, et le spectacle littérature et musique reprend.
Tandis que Laurent distille des extraits de Ciao Bella (une nouvelle de son dernier recueil, dont la fin provoque, selon le lecteur, attendrissement ou colère), et de Tébessa 1956 (moment particulièrement émouvant), dans la ville, un couple anonyme sort du restaurant, les enfants sont repus et fatigués, tout le monde est heureux de retrouver la voiture. « C'est la vie, c'est écrit » chante Eric Hostettler. Après le passage bouleversant de Tébessa, premier roman de Laurent, les musiciens concluent la représentation par L'Embuscade. Je crois que nous sommes tous profondément remués. Personnellement, les premières minutes qui suivent, dans le brouhaha et les déplacements des invités, je ne peux émettre et répéter qu'un stupide « Que d'émotions », seule expression qui me vienne, capable d'exprimer ce que je ressens. Heureusement, d'autres ont plus de vocabulaire que moi, Daniel, les amis et parents venus de Lyon soutenir l'auteur, Fabienne Bergery (auteure qui il y a peu, lut ses textes courts et inédits sur la scène du cabaret poétique), que je découvre « en vrai » et qui a la gentillesse de me demander mes projets. La pauvre. Après vingt minutes d'énumération, je propose qu'on boive un verre parce que ça suffit comme ça. Je félicite les musiciens (c'est le truc le plus nécessaire et le plus débile, féliciter ceux qui nous ont donné tellement de bonheur, on ne sait jamais quoi dire, en général, ils sont entre eux, discutent boulot, on arrive comme des intrus : « Que d'émotions, merci. » voilà c’est fait, je suis définitivement un gros bouseux qui passe). J'avise Clara, la violoncelliste, la félicite pour la maîtrise avec laquelle elle joue de son « gros violon », mon humour tombe complètement à plat, il vaut mieux que je prenne un deuxième verre, et un morceau de tarte aux pralines apportée par l'adorable sœur de Laurent. Je ne fais pas connaissance avec la compagne de Laurent, dont je ne capte qu'un sourire (il avait qu'à nous présenter correctement, aussi), j'échange quelques mots émus avec madame Cachard, maman de l'auteur, je découvre le travail d'une artiste argentine et l'artiste elle-même, je me fais dédicacer un exemplaire de Valse, Claudel, par Laurent Cachard bien sûr et simultanément par David Foenkinos (mais oui ! C’est incompréhensible mais j'ai bel et bien un ouvrage dédicacé du parrain de la fête du livre, quelques mots inscrits directement sous la signature de Cachard : « je m'ai bien régaler », agrémenté d'une petite fleur.) Il est temps de prendre la route du retour. Je remercie Laurent, je remercie Daniel, je remercie tout le monde, que d'émotions, mais oui mais oui, on lui dira, je sors. La nuit est douce. Tout imbibé de musique et de mots, je dépasse les limites de Saint-Etienne, m'engage sur la voie expresse qui me conduira jusqu'aux bras de ma douce. Devant moi, à quelques kilomètres, je ne le sais pas encore, mais un couple anonyme avec ses enfants vient de croiser un vieillard qui a pris l'autoroute à contre-sens.
Après une heure et demie bloqué dans la voiture, quand je croiserai enfin les lieux de l'accident, au milieu des gyrophares et des carcasses défoncées, j'aurai en tête le refrain entonné par Hostettler, « c’est la vie, c’est écrit ». Je ne sais pas, si je n'avais pas assommé Fabienne de mes projets pendant vingt minutes, ma douce ne m'aurait peut-être jamais retrouvé.
Que d'émotions.

Commentaires

  • C'est magnifique. Un beau cadeau, qui va rester. Merci. Ma boîte à lettres est vide, mais mon cœur est plein.

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