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choses vues - Page 3

  • 3704

    Elle rentrait chez elle après le travail. Il y avait une manif de gilets jaunes. Elle est restée prudemment à distance mais c'était son chemin. Une balle de LBD dans les jambes l'a fait s'écrouler. Les policiers se sont précipités sur elle et lui ont fracassé le crâne à coups de matraque. Des séquelles à vie, maintenant. Elle n'a que 19 ans. On pourrait même se satisfaire d'une justice qui punirait les coupables. Sauf que, même ça, elle n'y aura pas droit.
    Ce matin, j'avais prévu d'écrire une chanson d'amour. Ça va être difficile.

  • 3703

    Je marche dans la rue. J'entends derrière moi une voix de femme : « Allez, on marche. Allez ma petite ! » que je comprends comme les encouragements d'une mère à sa fille. La voix approche, et toujours : « Allez, Maria, marche ! Ne traîne pas. Il faut pas s'écouter si on veut avancer dans la vie. C'est dur mais c'est comme ça. Allez ! » La voici à ma hauteur ; elle me dépasse vivement. Elle est seule. Une petite bonne femme seule, dans un vieux manteau gris, gestes saccadés, à qui l'on a dit que, si elle avait perdu dans l'existence jusque là, si elle était au chômage, si on l'avait battue, si elle s'était retrouvée à la rue, c'était par manque de volonté. Alors, elle s'assène à elle-même les mots de sa malédiction. Ils ont gagné, les salauds.

  • 3701

    On m'a traité de réac, de trotskyste, de syndicaliste, de laxiste, de philosophe, on m'a même traité d'écrivain. Quel sérieux on m'a prêté !

  • 3700

      Mina appelait sa mère quotidiennement, plusieurs fois ; elles étaient très liées. Alors deux jours sans nouvelle de sa fille, Martha était très inquiète. On ne l'avait pas vue non plus à son travail. C'était une indélicatesse impensable chez elle. Il n'y aurait aucun secours du côté de la police, la mère le savait : « votre fille est majeure, elle a le droit de partir sans prévenir personne », lui rétorquerait-on. Après une enquête infructueuse auprès des hôpitaux, Martha se rendit à Paris où vivait Mina. Elle avait la clé de l'appartement. Car c'était le sien. Martha avait décidé de vivre en province auprès de son compagnon ; Mina venait de trouver cet emploi dans la capitale. La solution était évidente : lui prêter son appartement déserté, plutôt que de le louer. Le concierge de l'immeuble confirma qu'on n'avait pas vu la jeune femme depuis plusieurs jours. Il ne s'était pas inquiété : une belle fille comme ça pouvait découcher quelque temps. Martha pénétra dans l'appartement. Tout était en ordre, propre. Aucune trace de lutte ou de cambriolage, pas d'effraction. Comme si sa fille était partie après avoir fait un ménage consciencieux, sans précipitation. Martha savait qu'elle devrait s'en sentir apaisée. Pourtant, un sentiment de panique commençait à la gagner. Elle appela son compagnon, demeuré chez eux : « Je vais rester ici, au moins cette nuit. On ne sait jamais, elle va peut-être rentrer. » Le crépuscule. Martha ne parvint pas à manger. L'appartement silencieux. L'obscurité. Elle erra un temps sans but entre les pièces avant d'aller se coucher dans la chambre de Mina.
      Un dernier coup de fil à son compagnon. Elle : des pleurs d'angoisse. Lui : des paroles rassurantes. Chacun dans son rôle. Le sommeil enfin, qui la saisit. Et puis, dans la nuit, Martha se réveille brusquement. Elle est en sueur. Une pensée a surgi, qui l'a jetée hors des rêves. Le rappel d'une sensation, plutôt. Dans la soirée, alors qu'elle était assise ici, elle avait échappé un stylo de son sac à main. Il avait glissé sous le lit ; elle s'était penchée pour le ramasser. Il lui revenait seulement maintenant, mais avec quelle autorité, que ses doigts, en saisissant le stylo, avaient touché quelque chose. Et maintenant, la sensation de ce quelque chose venait de s'éclairer dans ses pensées : ce pourrait bien être une masse de cheveux. Les cheveux du corps de Mina au dessus duquel elle dormait depuis quelques heures.
    Elle éclaira, se précipita. C'était sa fille, nue martyrisée, torturée, violée, étranglée.

    Tuée par le concierge, qui n'avouerait que des semaines plus tard.

  • 3692

    La dame passe devant moi. S'arrête. Elle regarde mes livres, jette un œil sur le panneau qui dit mon nom, me dévisage, non, décidément, elle ne voit pas quel écrivain je peux bien être. Elle ne m'a jamais vu à la télé. Je la sens inquiète, alors je tente : « Je ne suis pas très connu, rassurez-vous. » Soulagée, elle me demande gentiment : « Et ça va, vous vendez un peu de livres ? » Je lui réponds qu'on fait ce qu'on peut, que voulez-vous. Alors, avec la plus grande compassion, beaucoup de gentillesse, elle veut me consoler et lâche dans un soupir : « Et oui ; c'est que vous êtes pas connu. » On n'en sort pas.

  • 3689

    "On baptise le petit, vous venez ?" Bôh oui, tiens, on aime bien faire plaisir. Mais faut pas pousser : écouter une prière contre la GPA et la PMA qui "menacent dangereusement notre civilisation" là, c'est trop. L'église était pleine de nuques inclinées, à l'unisson du chant, là-bas, qui maudit et condamne. On est sortis. La nausée, quoi.

  • 3684

    Remède de Cheval : construire un palais idéal pour oublier ses petits tracas. Laborieux, assez coûteux, mais efficace.

  • 3683

    Je ne me souviens plus du sujet, mais on tomba d'accord après un bon moment pour dire que ça ne valait vraiment pas le coup d'en parler.

  • 3675

    Nous pensons à toi. Moins souvent (des années sont passées) mais beaucoup. Quand telle actualité nous fait dire : qu'en penserait-il ? Quand telle lecture nous fait sourire : il aurait adoré. Ton geste nous a privés de toi, mais il t'a aussi interdit de connaître ce que nous allions devenir, quelles joies et peines nous traverserions. Tu nous aurais été précieux. Ce qui demeure, cependant, qui ne s'est jamais démenti, c'est que, bien que désespérés, accablés, nous avons tous respecté ta décision. Aucun ne t'a jamais traité d'égoïste ou de lâche, les lieux communs qui sortent de la bouche des observateurs lointains. Je vois par là que tu avais de vrais amis. Ton seul ennemi était toi-même. Nous n'étions pas de taille.

  • 3674

    Et si le mouvement des gilets jaunes était l'un des derniers soubresauts de l'ère automobile ?

  • 3673

    Si seulement ne pas penser comme les autres était gage d'originalité !

  • 3672

    Obésité, sédentarité, signes de notre déchéance, et de l'épanouissement de Bouddha.

  • 3669

    Les gens-rosiers. Que tu bichonnes, dont tu prends soin, que tu vois s'épanouir. Et qui ne peuvent se retenir de te piquer, au passage.

  • 3660

    Je lui écris « Chère auteure », elle me répond « Cher confrère ». C'est subtil, mais je lui fais le crédit d'être extrêmement subtile. Je note donc la nuance.

  • 3655

    Il n'y a bien que ses refus réitérés qui distinguent le naturiste égaré dans une partouze.

  • 3652

    C'est la condition humaine, semble-t-il : commettre l'irréparable, et puis réparer. On comprend que ça n'aura qu'un temps...

  • 3639

    Nous attendions en discutant, l'entrée sur le plateau d'une télévision locale. Cela formait un groupe de personnes bien mises, des responsables de structures départementales ou régionales, une minuscule élite de province. Des instruits qui parlent avec aisance. L'un d'eux, amoureux de l'histoire, écrivain à ses heures, révèle qu'il travaille sur les ancêtres de sa famille. L'un de ses auditeurs, dans notre groupe, réagit : la généalogie l'intéresse, mais il a préféré commanditer ce travail à un expert. « Et bien figurez-vous que je suis le descendant d'un pharaon égyptien ! » Je ne peux retenir un rire de sarcasme. Il m'interroge. Je lui explique alors qu'aucune archive de filiation ne remonte si loin. « Déjà, s'il vous avait vendu des ancêtres au XIIe siècle de notre ère, ce serait largement suspect, mais faire un bond de 2 à 3000 ans supplémentaires ? » Après quelques minutes de démonstration, notre héritier du Nouvel Empire comprend que son généalogiste est un escroc. Je ne pensais pas l'attrister aussi profondément. Comment, au XXIe siècle, un responsable d'organisme important, sans doute cultivé, peut avaler une telle couleuvre ? Et pourquoi je pars au quart de tour pour dénoncer une telle bêtise ? Constater la domination de nos petites vanités sur la raison me révolte, au fond. Parce que cet abandon de la réflexion me menace, comme tout le monde, je suppose.

  • 3638

    Bon, elle venait de baiser avec un crétin. Elle réalisa qu'elle n'avait jamais couché avec un génie. Estima que c'était une question de probabilité. Multiplia les aventures avec des crétins dans l'espoir que, sur le nombre formidable qu'elle s'était fixé, il y aurait une intelligence exceptionnelle. Elle crut toucher au but avec mon pote Nono. J'ignorais son génie. Veux décevoir personne. En tout cas, lui, il est content.

  • 3636

    Le cerisier rit ? Choisis l'autre magie : il y a des enfants dans les feuillages.

  • 3634

    Une des grandes satisfactions de l'existence, est d'assister à la lente transformation des autres. Tel qui disait « Les homos, c'est le genre de saloperies qui fait regretter que les camps n'existent plus » devenu un être tolérant, vigilant, conscient. Tel autre qui méprisait toute peau basanée, doucement amené à s'amender, à comprendre, à se racheter par ses engagements et ses propos. Et aussitôt, faire pour soi la comptabilité effarante du nombre de domaines où il faudrait s'améliorer.