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  • D'un geste singulier

    Hier -ou bien avant-hier, mais vous pardonnerez cette imprécision- tandis que ma compagne volait à mon secours en rapportant au bureau l'agenda oublié à la maison et sans lequel je suis perdu (plus de rendez-vous, plus de notes, plus de multiples détails qui ornent le découpage horizontal des heures, chaque jour), il s'est produit un de ces petits faits qui font notre délectation. Voici : ma chérie regagnait sa voiture garée devant mon travail, sa mission accomplie. Elle s'est penchée un instant pour récupérer je ne sais quel objet rebelle qui s'était dérobé sous un fauteuil, quand son oeil a capté le geste d'une silhouette sur le trottoir d'en face. Je dis bien le geste, pas la silhouette précise : une impression en somme. Et elle a instantanément su que c'était JM*. Relevée tout-à-fait dans la seconde qui a suivi, sa vue dégagée vraiment lui a permis d'en être sûre. JM sortait de chez la coiffeuse en face de mon bureau (un point commun supplémentaire entre nous) et il fit sur le seuil un mouvement qui l'identifia, aussi vite et absolument qu'aurait pu le faire un portrait détaillé. A mes questions enthousiastes (la synthèse d'une identité par la singularité d'un geste, imaginez : de quoi allécher mon goût pour les développements abstraits), ma chérie décrivit une attitude, un pas, peut-être une manière de plier aussi le bras en laissant flotter la main, un mouvement de la tête, mais il ne lui en restait que l'impression fugace qui subsiste des images rêvées. Ainsi sommes-nous -rires distincts, tics verbaux, attitudes caractéristiques, timbres uniques, gestes particuliers- loin du regard, de la présence, fantômes de nous-mêmes, un composé de sensations dont on retiendra tout, après notre départ, et qui restitueront l'essentiel de notre apparence aux amis pensifs.

    *(adpaté d'une lettre à un ami, qu'on nommera ici JM)

  • L'élégance du hérisson

     

    Muriel Barbery. NRF. Gallimard.

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    Il est difficile de juger impartialement un livre dont le succès de librairie n'est pas dû à une opération de marketing tonitruante, mais bel et bien au bouche-à-oreille. Lentement mais sûrement, on a vu le deuxième roman de Muriel Barbery (après Une gourmandise) grimper au hit-parade des ventes, remporter le prix du Rotary (oui, je sais...) et celui des libraires (ça aussi, pas de quoi se réjouir : les libraires sont assez sensibles aux qualités d'un bouquin qui se vend bien).

    C'est donc avec une certaine mauvaise humeur que j'en ai commencé la lecture. Parce que ce genre de littérature est, en général, très éloigné des exigences que j'ai pour un livre, et son succès en dit souvent plus sur la société qui en fait le succès que sur le sujet lui-même.

    L'histoire est celle d'une concierge, madame Michel, autodidacte et subtile dont la culture ferait pâlir Philippe Sollers, Umberto Ecco et Michel Serres réunis, et qui, parce qu'elle se soumet elle-même aux stéréotypes de la société, cache sous une apparence fruste et populaire, sa nature vive et profonde (l'élégance du hérisson). Ses réflexions érudites au quotidien sont entrecoupées du journal intime d'une fille de bourges surdouée, prénommée Paloma, qui projette de se suicider. On devine dès lors avec un certain agacement que la fin sera : madame Michel va mourir, et la leçon de vie qu'elle aura donné à sa petite copine Paloma décidera cette dernière à continuer de vivre. Gagné, c'est exactement ce qui va se passer. De mauvaise humeur, je vous dis.

    En fait, ce n'est pas mauvais, il y a même des percées vraiment magnifiques, des moments de vraie littérature, des phrases sur lesquelles on revient, comme ce passage où la concierge, apprenant la mort d'un locataire de son immeuble, médite sur cette idée de l'Art comme un secours face à la cruauté du destin : « Ces jours-là, vous avez désespérément besoin d'Art. Vous aspirez ardemment à renouer avec votre illusion spirituelle, vous souhaitez passionnément que quelque chose vous sauve des destins biologiques pour que toute poésie et toute grandeur ne soient pas évincées de ce monde. » Je trouve très belle cette notion de sa propre « illusion spirituelle ».

    Il y a beaucoup de beaux éclats de cette facture dans le roman. Mais c'est le principe et l'argument qui me gênent. Je vais tenter de dire pourquoi.

    Quel est le sujet du livre, au fond ? Ne jamais se fier aux apparences ? C'est du niveau de la problématique disneyenne (la belle et la bête, Shrek (OK, c'est pas Disney), etc.), mais pourquoi pas ? Sauf que, au fil de la description des locataires de l'immeuble et des personnages qui gravitent autour, Muriel Barbery ne fait qu'aligner des stéréotypes. C'est un livre qu'elle a écrit, peut-être, pour lutter contre ce qu'elle devinait de convenu dans sa conception des êtres. Raté : la concierge tellement intelligente et cultivée que c'en est grotesque (aucune lacune, dans aucun domaine), dessine en creux, le portrait que se fait l'auteur de ce qu'est véritablement une concierge, à ses yeux comme aux yeux de tout le monde et du coup, crédibilise et conforte la vérité du stéréotype ; le locataire japonais fut, comme par hasard, représentant de matériel hi-fi de pointe (un spécialiste de l'enfumage du jambon nous aurait surpris davantage), il aime le thé, a un goût raffiné, aime les films d'Ozu (dans le Japon actuel, autant dire que c'est une antiquité) ; la jeune bourgeoise suicidaire (trois mots qui forment déjà un stéréotype) est en révolte contre ses parents, comprend les jeunes qui brûlent des voitures, se complaît dans la description des plaisirs minuscules (bref, c'est la petite soeur de Vincent Delerme, quoi) et ne supporte pas l'hypocrisie de son monde ; le critique gastronomique est condescendant, le clochard est céleste, les chats roupillent... Pour lutter contre les préjugés, il me semble que « boule de suif » va plus loin et « la tache » est un point ultime, sauf que l'un et l'autre ne gueulent pas leur message dès le premier chapitre.

    Alors pourquoi un tel succès ? D'abord je l'ai dit, il y a de jolis moments dans ce livre, et une réelle qualité d'écriture (trop sage pour mon goût, mais ce n'est pas l'essentiel) ; ensuite, je me demande si, quelque part, la figure de cette autodidacte secrète, dont le savoir s'étend à peu près à tous les domaines des sciences humaines, n'est pas l'exacte figure du héros contemporain. L'accès à l'information, au savoir encyclopédique et immédiat que le monde actuel nous permet, nous laisse croire que nous sommes tous, peu ou prou, des madame Michel : extraordinairement cultivés, capables de comprendre ou dialoguer avec les spécialistes de tous bords, les Claude Hagège, les Derrida, les Coppens, les Wolton... plus rien ne semble hors de portée des autodidactes que nous sommes.

    Dans le secret de son écriture, Muriel Barbery a sans doute cru à son sujet sincèrement, mais elle s'est laissée rattraper par ses démons. Grand bien lui fasse : les lecteurs sont à l'unisson.

    Enfin, tout ça nous fera un bon film de divertissement, dans un an ou deux, avec un rôle écrit pour Catherine Jacob. Les paris sont ouverts.

  • Soyons justes

    Oui, tout de même, soyons justes... Une fois n'est pas coutume, et pour faire preuve de bonne volonté, de jugement non-dogmatique, je voudrais saluer les paroles de Sarkozy à propos du Myanmar (euh, non : de la Birmanie).

    A ma connaissance, c'est la première fois, dans les annales politico-financières, qu'un président de la République française ose demander à une énorme entreprise française de s'interroger sur ses relations avec le pouvoir dictatorial en place. En nommant l'entreprise, qui plus est, en public : Total.

    Total qui soutient depuis des années la junte militaire, avec un cynisme inexcusable et la beinveillante négligence de l'Etat français.

    L'info est déjà ancienne, dans le flux continu et amnésique de l'actualité, mais je voulais souligner cet acte vraiment neuf.

    Si malgré tout, quelqu'un a l'exemple d'un tel courage poltique, même chez de Gaulle, je suis preneur. Mais je connais déjà la réponse. Bon, ça fera une croix dans la colonne "actif" de l'hyperprésident.

  • A Lyon aussi

    Michel Onfray fait des émules. Sa fameuse Université populaire de Caen qui délivre chaque année des cours gratuits, et ouverts à tous, sans inscriptions, sans exigence de diplômes ou de niveau, a son équivalent à Lyon.

  • Le cauchemar passé...

    Voilà qu'on se retrouve à 3 heures du matin, dans une de ces insomnies irrémédiables.

    Un cauchemar où je vois mes enfants, où je me dispute avec eux et le réveil me laisse avec une sensation brutale de tristesse. Ils sont au chômage depuis longtemps l'un et l'autre, et je rumine le tragique de leurs pensées, quand, dans une nuit identique à celle-ci, ils ouvrent les yeux dans l'obscurité pour s'interroger sur leur place dans le monde. Un monde qui ne conçoit pas d'identité sans celle que confère le travail. Je suis malheureux pour eux. Je me refuse à les harceler en les culpabilisant davantage : "Alors, tu vas trouver un boulot, oui ? Tu vas te remuer un peu ?" parce que c'est tellement difficile. Le plus dur est d'être impuissant dans cette société qui s'exprime chaque jour davantage sous des formes brutales.

    J'écris un peu, en attendant l'aube. Et pourquoi pas sur Kronix, tiens. Cette nuit, je pense à tous les amis et proches, giflés par la brutalité du monde. Je pense à ces garçons intelligents, subtils, doux et honnêtes, que leur solitude désespère. Je pense à ces femmes, déjà plongées dans une vie dure, courant entre enfant sans père et travail sans repos, et qui se voient condamnées à trimer ainsi jusqu'à la mort par épuisement, sans qu'aucun répit radieux leur soit accordé. Je pense à ce vieillard décharné qui hante nos rues et beugle sa folie de clochard pendant des heures. Je pense à cet ami précieux qui quitte sa femme et se trouve devant l'abîme d'une vie nouvelle certes, mais seul.

    Je ne suis plus triste, mais je sens le poids de toutes ces solitudes. Et je mesure mieux ma chance. Je la souhaite à mes enfants, je vous la souhaite à tous.

  • Une décision par semaine

    Cette fois, ça y est, c'est décidé : grâce au précieux concours de ma douce compagne, je vais envoyer mes deux derniers romans aux éditeurs. En plus, un autre ami (éditeur, mais pas du genre de littérature que je produis), va envoyer mes manuscrits de son côté, avec ses recommandations.

    Bon. Autant d'occasions de subir des échecs, mais il se trouve qu'à mon âge, on s'en fiche un peu.

    Evidemment, je vous tiens au courant.