Il est bien bon, notre président. Le voici qui se cultive, on nous le claironne à tout va, grâce à sa Carla. Devait être un peu honteux d'être toujours à la remorque question culture, de s'entendre dire à tout bout de champ (enfin, d'entendre les autres penser très fort tout le temps : "Oui, mais Mitterrand, sa culture..."). Du coup, dîne avec des philosophes et des écrivains, se met à lire Camus. Se tape des dizaines de films par mois, et du sérieux : du Dreyer, du Welles, tout ça. Se présidentialise, quoi. On est content pour lui. 170% d'augmentation sur son salaire pour passer ses soirées devant son home cinéma tandis que le pays sombre, ça ne manque pas de panache. Aurait pu y penser avant ; aurait pu se cultiver d'abord, histoire de saisir une certaine douleur du monde, d'apprendre la compassion par exemple. La culture aurait pu le sauver, et peut-être, aurait évité notre damnation. Pour 2012, laissons-lui du temps pour parfaire sa nouvelle culture. Va lui en falloir.
choses vues - Page 34
-
La reconquête
Lien permanent Catégories : actu, choses vues, Cinéma, Livres, Matières à penser, Sarko et moi 0 commentaire -
Ma vieille capitale, déridée par Yveline Loiseur
Sur Roanne comme sur toutes les villes qu'elle a déjà parcourues, Yveline Loiseur porte un regard bienveillant, parfois amusé, mais jamais tenté par la sublimation ou l'édification. Voici la ville, notre ville, ma ville. Je la reconnais dans ces visions parcellaires, malgré l'étrangeté des images ; étrangeté d'un autre regard, plus attentif, qui s'est posé sur ces lieux que nous fréquentons sans conscience. Où sont les gens ? Certainement pas dans le champ de l'appareil. Ils sont trop grands pour le cadre urbain. L'humanité déborde les marges, elle est trop vaste pour être confinée dans les « plis sinueux » de la ville. On les voit donc ailleurs, de la manière la plus appropriée qui est le portrait. La photographe présente les personnes qui ont bien voulu s'offrir une fraction de seconde à son objectif dans de larges portraits au format carré qui apportent la vie à la ville et au lieu que l'artiste a choisi d'investir.
Nous sommes dans une maison du 19ème siècle aux tapisseries et aux peintures fatiguées, une vaste bâtisse probablement hantée. Les grandes cheminées de marbre ou taillées dans le noyer, les corniches, les dallages, les miroirs racontent une splendeur passée. Dans cet environnement désolé où s'étiole une solennité un peu ridicule, les alignements de vues de Roanne sur de petits formats aux couleurs veloutées, font surgir un présent plein de vie. Ce sont des vues parcellaires : une déroute des lieux, une énonciation, dans le droit fil d'auteurs comme Ponge ou Pérec. Des images littéraires ; il n'était pas difficile d'écrire à partir de ce matériau. Énumérer, énoncer, mettre l'humain entre parenthèses puisque là aussi, les habitants sont plus grands que la description de leur ville*. Pour déceptives qu'elles aient pu être reçues par certains Roannais, les images urbaines rapportées par la photographe après des mois de déambulation et de rencontres avec ses habitants disent Roanne, parlent de son passé, de son quotidien, du temps particulier des « vieilles capitales » industrielles de la province. Il faut admettre que c'est notre ville.
Les portraits explorent ce même aspect avec autant de vérité et autant de subjectivité. Plus grands que nature, ils ponctuent le parcours de gestes, d'attentes, de méditations simples. Leur succession, sur les murs de la vieille maison, évoque les galeries d'ancêtres. Mais on a affaire à des Roannais du 21ème siècle, aucun doute là-dessus. Pour ceux qui les reconnaissent, on devine dans le choix de ces personnes, une préférence, une connivence de Loiseur avec une forme de pensée et une attitude dans la vie. Voici des Roannais qui, peut-être, voient la ville d'une façon similaire à la sienne. Voici notre ville, une certaine ville ; voici ses habitants, une certaine catégorie de ses habitants. Ces Roannais-là, comme je le dis par ailleurs dans le livre que je prépare, sont le sel de la terre, ceux par qui la vieille capitale deviendra autre chose, j'en suis convaincu. Comme tout artiste authentiquement sensible, Yveline Loiseur a su capter, en quelques mois passés ici, ce qui se passait de plus pertinent dans ma ville.
« Dans les plis sinueux des vieilles capitales », Photographies d'Yveline Loiseur. Maison « coeur de Cité » à Roanne, jusqu'au 25 juin 2011. On rentre par les jardins.*Le travail photographique d'Yveline Loiseur sur Roanne a donné lieu à la réalisation d'un livre d'artiste aux éditions jean-Pierre Huguet, pour lequel j'ai eu l'honneur d'écrire un texte.
-
Lancer de bâton
L'exaltation que procure la musique, sa capacité à désinhiber tout sens du ridicule, est particulièrement lisible dans le sourire des majorettes.
-
Santons sous la pluie
Pour cette nouvelle crèche, le santonier s’était amusé à fabriquer des bergers dubitatifs ou indifférents et un qui bâillait ostensiblement, il avait ajouté -en pouffant- un roi mage qui repartait avec les cadeaux.
Pas de réaction.
Il réalisa alors une vierge-Marie en train d’accoucher dans le sang et les douleurs.
Les paroissiens trouvèrent ça très bien.
Déçu, il se mit aux figurines de wargames, où il y avait encore des gens un peu dogmatiques. -
Jet lag
Chaque année, les fruits sont plus précoces. Le goût, quant à lui, arrive plus tard.
-
Un peu de poésie
Poète jusqu'au bout des ongles, il lui arrivait de versifier ses lettres de délation.
-
Volatiles
Le printemps. Les cigognes arpentent les prés, bec pensif, grandes pattes lentes et précautionneuses ; les hirondelles traversent le ciel comme des bolides étourdissant. Nous sommes les seuls à leur concéder une parenté. Elles, s'ignorent.
-
Nuance
Dans notre ville accablée par le chômage et la précarité (30% de la population vit au dessous du seuil de pauvreté), il y a paradoxalement une grande concentration de propriétaires de Ferrari (125 personnes sont soumises à l'ISF). Mais comme ils ont honte – ou peur- ils ne les sortent que la nuit tombée, et même bien avancée. Vers trois heures du matin, en semaine, il n’est pas rare de voir deux Ferrari se croiser en klaxonnant. Dans leur lit, les pauvres sourient sur des rêves de viande hebdomadaire. Tous les deux ans à peu près, les Ferraristes, dans un surcroît de remords -qui leur permet aussi de montrer enfin leur réussite sans en éprouver de gêne-, organisent une exposition de leurs machines, dont les bénéfices vont aux associations caritatives locales (environ mille euros sur le week-end soit 400 euros pour chaque association). Cet argent aboutit peut-être dans les poches des plus miséreux sous la forme d’un centime chacun à peu près. Ce qui n’est pas suffisant pour assister à l’exposition suivante, qu’ils regardent par-delà les grilles. Pour l’heure, aucune amertume ne les pousse à sauter les barrières, à jeter un pavé sur les bolides. Parfois, un conducteur, dans la nuit propice, écrase un de ces pauvres. Cela mêle deux rouges à peine différenciés, mais l’automobiliste râle. Le ferrariste est très sensible aux nuances.
-
Qui triche ?
En invalidité depuis des années, on exige de lui qu'il se présente à un rendez-vous pour -tout de même- chercher une piste de travail. Bonne pâte, parce qu'il se dit qu'il faut faire preuve de bonne volonté, il se débrouille, fait l'effort, vient au rendez-vous. Une fois, deux fois, malgré le manque de mobilité, la souffrance. Enfin, on remarque : « dites-moi, mais vous n'êtes pas si invalide que ça, vous ? Puisque vous pouvez venir à nos rendez-vous, vous pouvez aller bosser n'importe où, non ?» Allez hop : valide. Pas compliqué.
-
Môssieur l'écrivain...
Pour qui est-ce que je me prends ? Je me morfonds depuis qu'une innocente plaisanterie m'a profondément bouleversé.
Dans une rédaction que je connais bien pour y avoir travaillé et que je visite parfois, une jeune femme arrose son départ vers d'autres cieux professionnels. Ses collègues lui font les traditionnels cadeaux et quelques surprises plaisantes, dont une parodie du journal auquel elle participe. Au hasard, je saisis ce faux amusant, lis quelques articles très drôles et tombe sur une liste des moments les plus affligeants de sa carrière de rédactrice. Et je découvre notamment « les interviews d'auteurs qui se prennent pour Houellebecq ». La jeune journaliste m'a interviewé, lors de la sortie du « Psychopompe ». Je ne pense pas être paranoïaque en prenant le trait pour mon compte ; je sens même une certaine gêne autour de ma lecture.
Mince alors ! Je donne donc cette image ? Celle d'un type qui « se prend pour » ? Moi qui n'ai accepté le titre d'écrivain qu'après l'édition de mon cinquième ou sixième roman, à plus de quarante ans, et encore : en baissant la voix et le regard. Peut-être ai-je parlé avec trop de sérieux de ce livre-là, peut-être ai-je cru devoir convaincre que c'était « bien », et dans cet exercice, me suis-je montré trop sûr de moi, prétentieux. La prétention, en fait, nous y sommes, petits auteurs, un peu conduits. C'est que l'on nous l'autorise, malgré notre modeste statut. On nous donne la parole, soudain, parce que nous avons écrit. Et nous voici pontifiant, discourant, donnant notre avis, à la demande d'un public qui écoute. Pourtant, nous ne sommes pas plus renseignés du monde que les autres, pas plus subtils, pas plus cultivés mais voilà : nous prenons l'habitude de cette autorité artificielle. J'ai dû semblé tellement sûr de moi...
Une dure leçon d'humilité en tout cas. -
Qu'est-ce qu'elles veulent ?
Il faut supporter de vivre dans un monde où une gamine qui se fait cogner dessus par son père au point d’être soignée aux urgences est tenue pour une emmerdeuse qui exagère son traumatisme et sa mère qui demande le divorce, pour une dépressive incurable. Le père va bien. Il est entouré d’amis, qui essayent de le consoler.
-
Optimistes
Le Figaro.fr fait une liste de 30 raisons d'être optimistes. Je vous passe les détails, il n'est question que de déco, de superficiel, de futilités à la mode et parmi elles, on peut lire ça : "Plus d'attente au cinéma : Le ciné sans guichet, c'est comme le supermarché sans caissière..."
L'inconséquence de ces gens...
-
Gilet serré
Mon travail me permet de dénicher de ces petites merveilles. Ici, un menu. Un menu de banquet d'accord. Impressionnant, mais comme le souligne ma douce : "y'a pas de fromages ?". Non, y'avait pas de fromages.
GRAND CERCLE DU PROGRES
BANQUET ANNUEL
13 DECEMBRE 1903
MENU
Pâté de chasse en Bellevue
Turbot Normande
Filet de Dinde à la Maintenon
Cuissot de Chevreuil à la Russe
Macédoine au velouté
Faisans truffés rôtis
Salade de Langouste
Glace Pralinée
Dessert
CaféLiqueurs
Fleurie Moet
-
Sous le soleil
L'année commence mal, avec une disparition supplémentaire. Ma douce veut aujourd'hui revoir ce visage fermé qu'elle a connu rieur et complice. Un aller-retour sous le soleil de cette belle journée, pour considérer ce masque, qui s'apprête à fondre dans la nuit. Permettez-moi une pensée pour la femme seule, pour les amis pétrifiés, pour toutes les douleurs égarées qui voudraient un sens à tout cela. Je parle de tous les deuils, dont 2010 fut déjà riche. Priant le néant qu'il n'en soit pas ainsi pour 2011.
-
Les convoyeurs attendent
Les chauffeurs de car attendent, agglutinés derrière la banque de renseignements de la gare routière. Par ces frimas, le lieu est un refuge, une bulle de verre, chauffée, salle d'attente pour un public calme, où je vais d'ailleurs bouquiner en attendant l'heure ; Les chauffeurs ne bouquinent pas ; ils rigolent. Surtout, ils s'harmonisent, s'entrainent, se relaient, emploient tous les moyens pour faire rire l'hôtesse. C'est une petite dame brune, fluette, dont le rire ressemble à celui de madame Mim dans le Merlin l'enchanteur de Disney, en moins sardonique et en beaucoup, beaucoup plus aigu. La petite dame est une bonne cliente de l'humour bite-con-couilles de ses collègues masculins qui, ainsi tenus de surenchérir, dépassent tout ce que « les grosses têtes » peuvent déployer de vulgarité. Et la petite dame de s'esclaffer, d'accélérer le rythme de ses éclats jusqu'à ululer une sorte de cri de sirène continu et dangereux pour les oreilles. Les gars multiplient les jeux de mots, les bourrades, les rires gras, les imitations, pour la consternation des voyageurs innocents, venus se réchauffer dans un abri serein et se retrouvent dans une taverne irlandaise le soir de la saint-Patrick.
Je ne suis pas bégueule, je n'ai rien contre le fait que les gens s'amusent et rigolent au travail. Mais si on essayait de la faire rire avec, je ne sais pas moi : Desproges ? Non, j'ai rien dit. -
Oh, Johnny, si tu savais...
Sur un affichage de presse people, sur le trottoir, je capte au passage un titre hallucinant : « Johnny : terrible arnaque ! » illustré d'un portrait déceptif du plus invraisemblable chanteur de variétés qui soit. Je sursaute en me disant : « Enfin ! La presse a décidé de déciller son public. Noble cause. » Et puis non, une relecture instantanée me décille, moi : "Johnny : terrible attaque !" il s'agit d'une bien commune alerte sur l'état de santé de l'artiste francophone le plus bidon depuis que Cloclo s'est tout seul éliminé de la course. Tant pis, me dis-je.
J'espère que ce billet va déplaire. -
Une journée particulière
Pour deux raisons absolument opposées, ce samedi est une journée spéciale. Pour ma douce, dont c'est l'anniversaire ; pour Annie qui pleure son compagnon. Comment célébrer l'un et l'autre sans se médire ? En faisant confiance à l'ordre de la vie, qui est de prendre le dessus.
-
Encore un adieu
Une calotte de plus cette année, qui en aura compté beaucoup. Nous nous sentons complètement cernés par les deuils achevés et les deuils à venir. Triste, déprimante perspective. A cet égard, 2010 aura été une année de malédictions.
C'est une nouvelle qui assomme, malgré l'imminence que nous savions. Quelle illusion nous fait croire à la permanence du jour tandis que le crépuscule s'engage ?
Nous avions vu B. la dernière fois à la lecture du Psychopompe, il avait fait l'effort de venir, un moment, au bras de sa femme, la noble A. J'appelle involontairement ces images, et par elles, il me semble que je commence à réaliser, et l'angoisse monte.
Il n'y a pas de justice, personne n'est épargné. On va essayer de survivre, quoi, en attendant notre tour. Bien obligé de considérer les choses comme ça.
-
Son compte est bon
Je vois cet homme sortir en souriant de la banque. Derrière la vitre, je vois aussi le banquier lever les bras, sortir le champagne, appeler ses collègues. Je me demande si le client va sourire longtemps.
-
Le sens de l'essentiel
Un grand ménage dans greniers et caves est l'occasion de repenser une époque révolue, pourtant pas si lointaine. Sans parler d'amélioration de nos comportements, on peut juger d'un déplacement dans les objets du désir de consommation. Voici que surgissent des cartons quantité d'appareils imbéciles, utilisés trois fois maximum et remisés dès la fête finie. Vous vous souvenez des ouvre-boîtes, des couteaux, des ramasse-miettes, des moulins à café, des presse-citrons électriques, des chauffe-plats ? Ces machins forcément pratiques qu'on mettait un quart d'heure à mettre en place quand on parvenait à remettre la main dessus, et dont on découvrait à chaque usage qu'un tour de main suffisait. Que d'énergie, que de matière grise, que d'argent, perdus dans cet amoncellement technologique qui tache d'orange et de beige les étals des brocantes miteuses, aujourd'hui !