Cela nous vient d'Espagne. J'ai testé, ça marche. Vidéo de présentation du BOOK, produit révolutionnaire, en effet. Même sans traduction, je crois qu'on comprend bien.
choses vues - Page 35
-
Révolution technologique
-
Chez Verdurin
Ces bourgeois qui avaient invité par erreur un voisin nommé Jacques Chancel, avant de découvrir, en le voyant débarqué une bouteille de rosé à la main, qu'il s'agissait d'un représentant en tissu imprimé, piqué de poésie de surcroît. L'horreur pour ces braves gens qui avaient aussi invité leurs amis en lançant, comme un détail : « Et puis, il y aura Jacques... »
-
Encartés
Vous avez vu la gueule qu'on a sur les cartes d'identité ? Faites a priori pour être reconnu, mais l'encarté y est souvent méconnaissable. Étonnant. Je serais terroriste (ou seulement syndiqué, ce qui est égal dans ce pays apparemment), j'insisterais pour avoir une carte moi aussi, meilleur moyen pour échapper au contrôle et masquer son identité.
-
Le vent qui ne se lève pas (encore)
Dans le car qui me ramène à la maison, les conversations de très jeunes adultes. Elle et lui sont assis comme toujours côte à côte. En général, ils parlent musique et sorties. Ce soir, on dirait qu'elle boude. Peut-être pour écarter le malaise qui s'installe, le garçon est plus volubile qu'à l'accoutumée, il parle de sa journée, raconte des choses sans grand intérêt. Dans un silence, la fille place : « Sinon moi, ça va, j'avais mon rendez-vous à l'ANPE, je me suis bien fait pourrir, merci de prendre des nouvelles. » Je ne le vois pas, mais j'imagine le garçon se mordant les lèvres. « Ah oui, et comment ça s'est passé au fait ? » « Ça t'intéresse pas de toute façon, tu t'en souvenais même pas. » Il grogne, se défend, ne s'excuse pas par orgueil mais on sent le type embarrassé de sa gaffe. Ils sont un moment silencieux, puis il insiste et elle finit par raconter. « Il a vu que j'étais au chômage depuis plus de trois mois, il m'a dit qu'il fallait que je me bouge. Je lui ai dit que, oui, je me bougeais, que je cherchais. Il m'a demandée où j'avais cherché, si j'avais demandé à telle boîte, là ou là, j'ai dit oui, mais que j'avais pas de réponses. Il m'a dit « Mais vous savez, il faut pas rechigner, prendre tout ce qui passe, pas hésiter » j'ai dit faut pas croire, je rechigne pas (le garçon râle : qu'est-ce qu'y croit, lui ?), j'ai dit je cherche hein, je prendrais ce qui se trouve, mais y'a rien. Il m'a énervée, comme si je voulais pas bosser. Et puis il me fait la leçon comme quoi il faut bien présenter, bien s'habiller, être poli. Je lui ai dit que je savais (le garçon répète « qu'est-ce qu'y croit ? ») Que j'étais polie, que je parlais correctement pour me présenter, pour faire bonne impression, tout ça. » j'écoute et je suis bouleversé par cette jeune fille que j'imagine se débattant avec les difficultés de son milieu, obligée de s'excuser devant un type bien installé, de ne pas trouver assez vite du travail, dans une région où la pauvreté est galopante, où le chômage grimpe à 13%. J'ai honte de cette société qu'on leur a fabriquée, qui non seulement exclue, mais culpabilise ceux qu'elle exclue. Je les trouve bien gentils, bien patients, ces jeunes, qui devraient foutre le feu partout, une fois pour toutes.
-
La confession
Dans le car qui me ramène à la maison, les conversations des adolescents entre eux. Le lait de la tendresse humaine. Souvent, leurs paroles me traversent. J'abandonne ma lecture, j'écoute, ému. Il y a eu ce garçon, expliquant à une copine le mauvais sort qu'une petite bande a voulu lui faire, quelques jours plus tôt. « Il me dit Viens, je veux te parler , j'avais pas envie mais j'y vais, dans une petite rue comme ça. » « Mais tu y es allé ? C'était un piège et tu y es allé ? » « Ouais, c'était un piège mais j'étais coincé, j'y suis allé. Au fond de la petite rue. Ils étaient tous là. Cinq-six. Ils commencent à me prendre la tête, que j'ai dit des trucs sur eux, tout ça. Il fait venir sa copine. Elle dit : « Je sais plus ce qu'il a dit mais il m'a insultée de pute » « C'est vrai, tu lui as dit ça ? » « Ouais, peut-être, j'en sais rien, de toute façon c'est une pute. Ouais, je l'ai peut-être dit » (la fille à côté de lui pouffe, approuve le verdict) « Alors, l'autre il me donne des baffes. Je l'ai laissé faire. » « Tu l'as laissé faire ? » « Oui » « T'as raison. » « De toute façon, ils étaient six, si je me battais, ils me cassaient la tête. » « T'as raison. Qu'est-ce que t'as fait ? » « Ben je me suis mis à courir, j'ai couru, j'ai foutu le camp. Ils m'ont suivi. On a couru dans toute la ville. J'avais peur. » « Ils t'ont pas rattrapé ? » « Non. Ils ont dû me prendre pour une vraie fiotte. » (La fille pouffe à nouveau. Je sens dans sa réaction, un large sourire, une bienveillance. Aucun jugement. Elle est seulement heureuse que le garçon s'en soit tiré indemne). Je souris aussi. L'honnêteté de ce gamin, le tranquille détachement de son récit et son humour, me font apprécier ce que je crois lire comme une évolution de mentalité. A son âge, peut-être aurais-je fui, ce qui n'est pas sûr (il m'est arrivé de ces petits événements où je me découvrais un héroïsme imprévisible), mais en tout cas, jamais je n'aurais avoué ma fuite à une fille. Orgueil des petits mâles d'une époque révolue. Ou bien ai-je écouté le récit d'une exception.
-
Moment d'histoire
Il y a quelques jours, je venais retrouver ma douce à la sortie de son travail. Le lendemain serait le premier jour de son chômage. Elle a vécu de l'intérieur un moment historique -au niveau local s'entend. La fermeture de la seule grande librairie de notre ville. La librairie qui a nourri des générations d'enfants scolarisés et fourni des milliers de lecteurs depuis plus de soixante ans. La fin d'une institution. Depuis trois ans, ma douce y travaillait, espérant ainsi boucler sa longue carrière de libraire. Il aura manqué quelques années. Inutile de blâmer les propriétaires de ce magasin hors-normes : elles ont saisi une occasion financière, et comment leur en vouloir ? Malgré tout, le paysage culturel qui s'en suit désespère un peu plus les vrais lecteurs, qui devront aller loin désormais pour trouver les titres que les grandes drogueries livresques ne proposent pas. Il y avait l'autre soir, une ambiance de deuil et d'amertume qui imprégnait ces dernières minutes. Ma douce en était profondément affectée, ses collègues avaient des gestes plus las. Nous savons aussi que, la vie étant ce qu'elle est, les chemins de chacun se séparent ici et il faudra compter sur le hasard pour que tous se revoient. C'est ainsi. L'idée un temps caressée d'ouvrir notre propre librairie (montage financier difficile mais « jouable »), a fait long feu. Nous ne sommes plus si jeunes et l'avenir du livre sous sa forme papier est incertain sur les dix ans qui viennent, le risque est trop grand pour de simples passionnés. Je lance donc ce chant élégiaque, dolent, d'un lecteur désemparé et accessoirement d'un auteur qui, si jamais son éditeur lui fait encore une fois confiance, n'aura personne pour défendre son travail.
-
Le chant du Limule
"Me défaire de tout" pour ma douce et moi, est la chanson symbole de la pièce "le rire du Limule" et de son propos. Mise en musique par Jérôme Bodon-Clair (dont on retrouvera le travail, sous la forme d'une symphonie, dans la prochaine pièce de la compagnie NU), "mimée" sur scène par Virginie Noël, interprétée par Amandine Correa et mise en scène par François Podetti sous la lumière de Dominique Dupin (quel monde il faut pour obtenir certain résultat...), elle est ici filmée par Yohann Subrin.
J'ai découvert ce lien hier, j'ai trouvé bien de vous le faire partager. Comme la prise de son est parfois défaillante, je vous donne le texte, ci-dessous :
Je n'avais pas de pistolet, mais des envies de fin du monde
Je n'avais pas de guillotine, mais une soif pour mes petits
Je n'avais pas de bombardiers et pas de pièges pour les colombes
Je n'avais pas de sabre aux dents, pas de couteau, pas de fusil
J'ai juste voulu, un jour, juste voulu
Me défaire de tout
Me défaire de tout
On détruirait bien des bastilles, on referait souvent Paris,
Si on avait pour seule fortune, la terre des tombes que je rejoins,
J'ai pas voulu prendre les villes, et j'ai abandonné Paris
La fin du monde est pour les autres, moi je m'en vais seul(e) dans mon coin
J'ai juste voulu, un jour, juste voulu
Me défaire de tout
Me défaire de tout
Je vais là où le vent a planté mes racines,
grimper quelque rocher, troubler quelque ruisseau,
Regarder le soleil verser le vin du soir sur les collines,
Et repenser que j'y peux rien si les humains sont comme ils sont
J'ai juste cru, une fois, j'ai juste cru
Qu'on changerait tout
Qu'on changerait tout. -
Salon de l'aigri
Vous pouvez me retrouver encore cet après-midi au salon de l'écrit de Commelle-Vernay, dont l'organisation est partagée avec plusieurs communes limitrophes. L'originalité de ce salon est qu'il est accueilli chaque année dans une commune différente de la région. Lectures, dictées, débats, et surtout stands avec auteurs (c'est une rafle : il y en a une cinquantaine, presque tous édités à compte d'auteur). L'an dernier, c'était charmant : nous étions alignés comme des boeufs au salon de l'agriculture, et les promeneurs du dimanche, venus par curiosité avec leur poussette et leur grand'mère, passaient devant nous en nous observant. Tout juste si on ne nous flattait pas la croupe.
Autrement, les écrivains se jaugent et médisent de l'un ou l'autre, observent combien untel a vendu. On y retrouve aussi des auteurs amis, car il y en a. De ceux dont les exigences sont parentes.
-
Dilemme
Il y avait bien une possibilité de ramener les ouailles à l’église : dévoiler la châsse de Saint-Benoît. Mais le prêtre hésitait encore : quel impact pourrait avoir l’exhibition de la relique ? Car il s’agissait des vestiges du sexe du saint homme et sa taille était suffisamment remarquable pour créer la gêne, le rire et, peut-être, l’émoi.
-
Quotidien
Comme tous les mardis, le boucher m'assomma avec ses lieux communs : la masse manquante de l'univers l'inquiétait fort. La cliente derrière moi réclama du mou pour son chat de Shrödinger. Je n'osai balancer ma vieille blague éculée sur le principe d'incertitude et ressortis sans avoir même évoqué avec mon commerçant le paradoxe de la flèche du temps qu'il faisait.
-
Le secret de Zyon
Vu sur le gravier de cette place que je traverse chaque jour, le tracé d'une marelle où le mot « Terre » est remplacé par « ZYON ». Non loin, une inscription : « ZYON, saucisse d'amour ». Le nombre de mystères qui naissent sous la semelle, au hasard d'une maussade matinée de retour au travail...
-
Hollywoodien
Un ami nous avait avertis de l'événement original d'un concert de musiques de films dans des carrières encore en activité, près de chez nous. Après des jours et plusieurs soirées difficiles pour cause de diverses invalidités familiales, nous nous sommes octroyés cet intermède. Le cadre était surprenant, tout à fait propice à un moment original. Beaucoup de monde. A cet endroit, la carrière de granite rouge forme un cirque rocheux. Lunaire, étonnant dans le soir qui monte. Nous nous installons, saluons les huiles habituelles (un conseiller général, nous écoutant râler contre ce reliquat des monarchies que sont les premiers rangs étiquetés « réservé », erre un temps, regard perdu, entre les chaises dédiées puis, mine de rien, va s'assoir plus loin en laissant échapper assez fort pour qu'on l'entende « ces places réservées, ce que ça m'agace »). Je m'inquiète cependant de l'exiguïté du tertre aménagé devant nous, où va manifestement se placer l'orchestre. Je dénombre cinq pupitres. Déjà, je sens poindre le fou-rire. Et en effet, interpréter les ronflantes envolées de Star Wars -qui réclament habituellement une cinquantaine d'exécutants- avec quatre flûtiaux et une batterie, relève de l'optimisme qui conduisait Roger Corman à réaliser des péplums avec six figurants. Je me tords de rire pendant toute cette première partie consacrée aux musiques de John Williams. C'est injuste, cruel et mesquin, mais je n'avais pas ri d'aussi bon coeur depuis longtemps. Merci, les organisateurs. Le public, huiles comprises, était conquis.
-
La princesse et la grenouille *
La gamine embrassa tous les batraciens qu'elle rencontrait dans l'espoir de voir fleurir un prince charmant. Ses lèvres gonflèrent dans cette opération au point qu'elle se mit à ressembler aux crapauds qui, séduits, se lancèrent à sa poursuite.
* Le titre fait évidemment référence (on a les références qu'on peut) au dernier Disney, très médiocre. Il figure ici dans le seul but, cynique et sans scrupule, d'attirer des internautes égarés.
-
A la lettre E
Ce vieux monsieur très digne doit patienter à l'accueil avant son rendez-vous. Pour passer le temps, il me demande si j'ai un dictionnaire. Je lui tends un Larousse. Il l'ouvre en susurrant que c'est une excellente lecture, le dictionnaire, et que, quand il peut, il s'y plonge juste pour le plaisir. Je lui avoue faire exactement la même chose, goûter cette pratique pour les mêmes raisons.. Il lève sur moi un oeil terrible : désormais je suis son ennemi.
-
Haïku
Orage de grêle, ville sous la mitraille blanche, et un haïku raté.
-
L'ermite
Au Moyen-Âge, j'aurais été enlumineur. Travaillant lentement pour la postérité, à l'écart des guerres, au chaud et bien nourri. Comme aujourd'hui.
-
La 4ème dimension
Attablé au café, j'admire, pendant plus de dix minutes, un défilé ininterrompu de filles superbes. La peur soudain, d'être passé dans une autre dimension, et de ne plus jamais revoir de filles communes.
-
Zombies land
Le jour était encore haut. Rien ne menaçait cet agréable bout de France, entre bois et champs de blé vert. Le premier sujet d'étonnement fut cette voiture dans le fossé, entourée de gendarmes et de passants. Banal accident, rien de particulier sinon l'agitation toujours un peu stressante qu'un accident frais génère. Nous passons. Plus loin, après que le route en lacets se fut aventurée entre des haies de mélèzes noirs, nouvelle surprise : un tracteur croise notre route, chargée d'hommes et de femmes maquillés. Une fête sans doute. Nous abordons un village. Aucune voiture, nous sommes seuls. La rue centrale est jonchée de détritus et de papiers, dans une telle épaisseur que je sens les roues patiner par places. Encore quelques mètres et soudain, le passage est encombré de silhouettes qui surgissent des maisons et des rares magasins. Des hommes et des femmes se précipitent sur notre voiture en hurlant. Je ne peux pas foncer de peur de blesser quelqu'un. Ils sont plus nombreux à chaque minute, s'accrochent maladroitement à nos portières, tentent de nous barrer le passage, il y en a partout, devant derrière sur les côtés, ils surgissent en marchant raides et cassés, le pas lourd, bras tendus, vociférant des malédictions incompréhensibles. Loin devant, la sortie du village me paraît inaccessible. Enfin, l'étreinte des créatures se relâche. Les silhouettes se détournent vers une proie sans doute plus facile. Je ne demande pas mon reste, je fonce, la sortie du village enfin, je sors, la campagne recouvre son calme. Décidément, je déteste les kermesses et les fêtes aux conscrits !
-
Des oiseaux / 3
Le martinet
Au sortir du travail, on les discernait dans leur course folle, rayant le ciel loin au dessus de nos têtes. Un soir, un de leurs petits était tombé, minuscule et laid, sorte d'araignée couverte de duvet, ouverte sur un énorme bec. Enfin pas encore. Lors de sa découverte, à mes pieds, il était assommé, quasi mort. Le saisissant, je me suis aperçu qu'il vivait, ses moignons d'aile remuaient. « Un petit coup de déprime, ça va aller mon gars. Tiens bon jusqu'à la maison. » Une vingtaine de minutes à pied, le martinet ramassé dans ma main fermée à demi. Pendant le trajet, celui que je décide immédiatement de nommer Gibus (cette habitude humaine de nommer les êtres et les choses, depuis la Genèse, notre indestructible propension à s'approprier par le verbe...) et de croire masculin, va savoir pourquoi, commence à recouvrer son énergie et à s'agiter au risque qu'il échappe à la cage improvisée de mes doigts.
A la maison, Gibus découvre l'attitude qu'il aura pendant tout son séjour : s'agripper à mes vêtements, sur la poitrine, grimper grimper et se coller dans le refuge de mon cou. Je lui prépare du jaune d'œuf, pris au bout d'une allumette, qu'il avale goulûment (maintenant oui, il n'est plus qu'un grand bec entouré de duvet). En quelques jours, nous voyons les plumes apparaître et notre bébé se métamorphoser en oiseau digne de ce nom, et de voler bientôt. Plusieurs essais dans la maison, sous le regard ébloui des enfants, précipitent Gibus au sol malgré l'élan que nos lui donnons. Pourtant, il devient vigoureux, il donne de la voix, grimpe plus vite jusqu'à mon cou.
Un soir, je décide de reproduire l'essai. Nous sortons dans le jardin, nous plaçons face à face à quelques mètres de distance. J'envoie le martinet, il bat des ailes, tête enfoncée dans les épaules à la manière d'un sprinter, il frôle ma femme, et disparaît. Nous restons stupides plusieurs secondes à contempler le ciel où Gibus s'est évanoui. On se dit que, l'instinct aidant, l'an prochain il reviendra saluer ses parents adoptifs. On n'y croit pas mais on se le dit. Il ne reviendra pas.
-
Des oiseaux /2
Le gypaète
Immense un instant. Je l'ai vu comme ça : immense, tant ses ailes encombraient l'espace. Notre petit salon s'était animé d'un coup sous l'effet de son affolement. Ma femme l'avait récupéré dans le jardin. Elle avait vu le rapace -car c'était un rapace, tout l'indiquait : ses fortes serres dont nous nous gardions, son bec crochu menaçant, ses magnifiques yeux jaunes- se briser contre un câble et tomber en désordre dans notre terrain. Elle avait surmonté sa peur, s'était équipée de gants de jardin et d'une couverture, avait ainsi maîtrisé ses soubresauts de bête prise au piège. Elle l'avait capturé. L'oiseau était là, effrayé, menaçant, bec grand ouvert, yeux écarquillés par la certitude de sa dernière heure venue. Ce n'était pas une buse, oiseau de proie courant chez nous, c'était plus grand, un plumage clair, une gueule qui tenait plus de l'aigle que du faucon. Le vétérinaire au téléphone conclut qu'il s'agissait d'un busard. Que faisait-il ici, en pleine ville ? Nous n'habitions pas loin du fleuve et de ses zones inondables laissées à la nature. L'environnement urbain était donc tout relatif.
Enroulé dans la couverture, serré comme en langes, le busard fut emmené et remis au vétérinaire. L'aile cassée, impossible à réparer, le spécialiste résolut de le piquer. Bon sang, un fauve pareil, une telle majesté, anesthésiée et exécutée comme un vieux chien, quelle pitié !
De ces irruptions de la sauvagerie dans notre univers policé, qui font réaliser, par le pouvoir de mort qu'on s'octroie sur elle, combien nous phagocytons tout le vivant qui n'est pas nous, combien nous le réduisons promptement à la domesticité, et la prétention que nous avons à être charitables, tandis que nous tentons de ne pas avouer notre cruel statut de maîtres.