« Chérie, soit mes pieds ont réduit de trois pointures, soit ces pantoufles, là, sur la descente de lit, ne sont pas à moi. » En réponse, elle bafouille un truc bidon, joue l'indignation et l'incrédulité. Furieux, je sors de la chambre pour découvrir que le lavabo de la salle de bains se trouve au niveau de mes oreilles et que le chat qui, d'habitude, se frotte contre mes mollets, vient de me bousculer au niveau des cuisses. Et soudain, je me souviens de ce nuage étrange, traversé hier matin en allant au boulot…
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Aurelia Kreit
Nous n'allons pas nous y attarder, mais la genèse de ce roman fait partie intégrante de la légende qui le sous-tend. Il y est question d'un groupe musical formé à Lyon il y a trente ans, dont l'auteur fut un fan. Un groupe qui avait pour nom ce patronyme imaginaire, Aurelia Kreit, incarné par une photo d'inconnue (aujourd'hui en couverture du livre), image assez inspirante pour qu'une histoire y fût attachée. Une histoire d'exil, de fuite, de temps troublés et cruels… Parmi les auditeurs, le jeune Laurent Cachard se mit à rêver de ce qu'avait pu être la vie de cette petite fille. Une certaine reconnaissance, plusieurs publications primées plus loin, il considéra -la littérature lui étant devenue langage privilégié- qu'il était prêt à s'emparer de son histoire. Voici donc, édité par « Le Réalgar » (dont la ligne éditoriale est généralement attentive aux textes courts), le vaste roman historique qui nous était promis par l'auteur depuis si longtemps.
Aurelia Kreit est née en 1900, en Urkaine. Elle est la fille d'un ingénieur juif. Dans Iekaterinoslav, village de la « Petite Russie », cela signifie qu'on est en terrain hostile et qu'on doit se préparer, d'un jour à l'autre, à changer de vie. Pour échapper aux sabotages, aux pogroms, aux meurtres impunis, aux haines épidermiques encouragées par le Tsar, deux familles juives amies décident de fuir. Hommes et compagnes séparés d'abord, par ruse, par souci de discrétion. Anton et Olga, Nikolaï et Varvara traversent avec leurs enfants les paysages de l'Ukraine, font escale dans les capitales mythiques de ces temps : Odessa, Vienne, Constantinople, Paris… pour finir par se forger une identité française (en germe dans leur intérêt pour Hugo, dès les premiers chapitres) à Lyon et, pour quelques survivants, à Saint-Etienne. On découvrira au passage qu'il exista une organisation de résistance juive à l'oppression, dès le début du XXe siècle et qu'il y eut, avant Freud, à Vienne, certain médecin impliqué dans la recherche de causes psychologiques dans l'incompréhensible mutisme d'enfants traumatisés. On pourra oublier les données techniques sur la sidérurgie ou l'armement de l'époque, sans dommage pour la compréhension de l'histoire.
« Aurelia Kreit » a été pensé, selon l'antienne de son auteur, comme son « grand roman russe ». Au fil des plus de dix ans d'écriture, d'amendements, de repentirs, d'abandon, de sursaut, de volonté, d'acharnement, il est devenu autre chose : un objet littéraire singulier. Un roman historique, certes, et encore, mais surtout, une traversée dans le temps et par les pays, des consciences. Tout s'imbrique. Plus que les héros, se sont leurs âmes qui sont ballottées d'un point à l'autre, en quelque sorte écho de leur trajectoire physique. La petite qui incarne le livre, qui clôt le récit tout en l'ouvrant, a été, dans cette lente opération de maturité du texte, déplacée en marge du récit, et cela pourra surprendre le lecteur. Il faut comprendre que tous les personnages sont aimés de l'auteur. Même ceux qu'il sacrifie au fil de nombreuses et complexes péripéties, qui persisteront, spectres amicaux, à hanter le reste du roman. Aurelia Kreit ne force donc pas le destin à la manière d'un personnage commun de roman (ou de roman commun), elle est le témoin sans voix du destin des autres. Situation malaisée qui a cependant l'avantage de créer la distance d'observation dont le romancier est passé maître. Les remuements de pensée, les méditations et introspections sont donc les grands moments, les vrais gestes littéraires de « Aurelia ». En regard, l'Histoire devient prétexte, aussi documentée soit-elle. Les exilés de son grand roman russe ajoutent leurs voix aux nombreuses créatures du zoo humain cachardien. Autant de perceptions uniques de ce que c'est que vivre malgré tout, que d'exister et d'affronter les événements sans prétendre qu'on les contrôle.
On ne saura plus, un jour, de quels étonnants détours et amours est né « Aurelia Kreit. » Le roman ne sera témoin que de lui-même, y compris pour son auteur. Quelle postérité attend un texte aussi singulier, quels lecteurs voudront s'approprier ses questionnements ? Il faudra sans doute du temps pour que ce livre, son tempo, son sujet, la période qu'il explore, ses rebondissements, ses apparentes digressions, s'imposent dans un paysage littéraire qui ne l'attendait pas. On est reconnaissant aux éditions Le Réalgar d'avoir ainsi osé se distraire de leur ligne habituelle pour s'engager dans un tel ouvrage éditorial (430 pages plus les notes, fort bien mises en page, d'ailleurs). C'est un pari sur demain. Un pari nécessaire.Aurelia Kreit. Laurent Cachard. Editions Le Réalgar. 440 pages. 20 euros.
Photo : Laurent Cachard, à la libraire Le Tramway, à Lyon, évoquant son roman, le samedi 28 septembre 2019, devant une nombreuse assemblée.
On lira avec bénéfice la belle chronique d'Esther Rochant, mise en ligne sur le blog de Laurent, le Cheval de Troie.
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Cela se produisit quand Il créa l'homme à Son image. Il s'écria : « Merde, je ressemble à ça ? » et disparut aussitôt. On ne Le revit jamais (vous pouvez demander).
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Nous pensons à toi. Moins souvent (des années sont passées) mais beaucoup. Quand telle actualité nous fait dire : qu'en penserait-il ? Quand telle lecture nous fait sourire : il aurait adoré. Ton geste nous a privés de toi, mais il t'a aussi interdit de connaître ce que nous allions devenir, quelles joies et peines nous traverserions. Tu nous aurais été précieux. Ce qui demeure, cependant, qui ne s'est jamais démenti, c'est que, bien que désespérés, accablés, nous avons tous respecté ta décision. Aucun ne t'a jamais traité d'égoïste ou de lâche, les lieux communs qui sortent de la bouche des observateurs lointains. Je vois par là que tu avais de vrais amis. Ton seul ennemi était toi-même. Nous n'étions pas de taille.
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Et si le mouvement des gilets jaunes était l'un des derniers soubresauts de l'ère automobile ?
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Si seulement ne pas penser comme les autres était gage d'originalité !
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Obésité, sédentarité, signes de notre déchéance, et de l'épanouissement de Bouddha.
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Pour la première fois, sous prétexte qu'il avait mené son concept trop loin, la critique contesta à ce spécialiste de l'extrême ralenti, son long métrage sur la croissance de l'herbe.
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« Je ne pus croire qu'on eût découvert dans le monde un pays comparable à celui où nous étions. Aujourd'hui, toute cette ville est détruite et rien n'en reste debout. »
Bernal Diaz del Castillo. La Conquête du Mexique. -
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Les gens-rosiers. Que tu bichonnes, dont tu prends soin, que tu vois s'épanouir. Et qui ne peuvent se retenir de te piquer, au passage.
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Nouvelle critique des Nefs de Pangée
Postée sur Canal Hurlant, "un site qui dit du mal, mais le fait bien", une marrante recension des Nefs, menée avec verve. La fin de l'article est mitigée, mais il me semble (je crois, on dirait bien, au fond, tout de même, un peu) que c'est quand même globalement positif, comme dirait un ancêtre.
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Prenez deux personnages historiques (Cortés et Moctezuma, par exemple). Appuyez-vous sur les éléments disparates ou contradictoires que l'Histoire vous apporte, mettez-les en situation et assistez à ce petit miracle : les mystères de leurs actes, la folie de leurs gestes, les énigmes qu'ils laissent, sont soudain résolus par les acteurs de papier que votre imagination a fait vivre.
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Jetée au dessus du vide, une passerelle sans garde-fou, dépourvue de sol. C'est avec ce matériel qu'il va falloir traverser les difficultés à venir.
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Ô mon âme, protège-moi de la sale énergie du cynisme.
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Ici, au Cem-Anahuac Tlali Yoloco, menacé par le ueyquin ayquic, je pose mon tepuli sur le Cuauhxicalli souillé par le sang des xochimiqui, et je commence : « Oc ye nechca... »
Disons que je commence à me familiariser avec le nahuatl… Il faudra que je vous parle un jour de Cortés, de Moctezuma, de la Malinche, et de la collection Explora, chez Glénat… Oui. -
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Je le croise, après toutes ses années. Lui demande des nouvelles, de lui et de sa mère, que je connais un peu. Troublé d'abord, il se tourne vers sa femme. « Elle a meilleure mémoire que moi » s'excuse-t-il. Sa femme, gênée, lui rappelle que sa mère est morte l'an dernier. « Ah oui, c'est vrai ». Et il enchaîne en me demandant des nouvelles de ma mère. J'interroge aussitôt ma femme qui a, elle aussi, une excellente mémoire.
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...
20 jours ? On se réveille...